Si les bruits du monde sont proportionnels à la violence ambiante qu’ils sont censés couvrir ou mettre en évidence, suivant le point de vue, alors on peut dire que l’époque est celle d’un vacarme infernal de quelque côté que l’on se tourne.
Qu’il s’agisse des criantes injustices sociales qui maintiennent les plus pauvres la tête sous l’eau, leur laissant tout juste aspirer une minimale bouffée d’air pour que leur apnée ne soit pas définitive, et encore je ne parle que des pauvres que nous côtoyons en Occident; qu’il soit question des effacés dans les geôles closes ou en plein air du monde entier, réduits au silence ou à l’extermination à petit feu, en bons objets de détention ou de camps de travail étatiques; que l’on regarde du côté des si nombreux tirs de missiles sur tant de champs de bataille autour de la planète, avec leurs cortèges de sacs de dépouilles – quand celles-ci ne restent pas à ciel ouvert sur un champs enneigé ou dépecées par les vautours dans un désert –, pour le plus grand profit de quelques entrepreneurs militaro-pétro-industriels et de leurs actionnaires; que notre attention soit un instant attirée, un instant seulement, vers les affamés de l’hémisphère sud qui nous regardent pourtant de leurs yeux grand ouverts, errant tant qu’ils tiennent debout, puis définitivement couchés, là encore pour maximiser les bénéfices des gros négociants alimentaires internationaux qui ont leurs propres yeux fixés sur les cours de leurs actions et les courbes de leurs bénéfices; que l’on regarde même vraiment un instant cette inénarrable et antique guerre des sexes dont les souffrances existent, mais que l’on nous narre de toutes les façons et sous toutes les coutures médiatiques, occidentales en tous les cas, en tentant d’effacer son objet même, comme si nos nombrils (*) étaient soudain devenus les centres du monde ; eh bien de tout cela nous n’entendons en général que bruit, fureur, vacarme plus ou moins insupportables dont nous n’avons le plus souvent que l’envie de nous protéger, bouche bée et mains sur les oreilles ! Il doit bien y avoir une raison à tout cet insupportable et à son détournement quotidien d’autant plus facile qu’il se tient à distance.
Si certains veulent nous faire croire que la non-violence est originaire dans nos existences, et qu’avec un peu de volontarisme on va la retrouver pour quitter ces horreurs qui n’auraient pas de tous temps constitué notre ordinaire, je leur laisse volontiers leurs « bons sentiments » (**), avec leurs fleurs dans les cheveux, comme au temps de ma jeunesse, ou leurs combats pour la der des der, ainsi qu’on le clamait en quatorze dix-huit juste avant et aussitôt après le grand massacre. Car enfin, il suffit d’ouvrir les yeux un instant pour voir toutes les heureuses conséquences de cet amour primordial, fondateur et apaisant – et dont les si fréquents abus de toutes sortes sur des êtres sans défense témoignent bien entendu – qui nous aurait animé tous autant que nous sommes dès notre largage existentiel à côté, devant ou derrière ce vacarme omniprésent pas même couvert par les plus honorables civilités (quand celles-ci existent encore).
Je suis pour ma part convaincu que la violence qu’illustre tous ces bruits destinés à la masquer, et que de mon côté je cherche plutôt à mettre en évidence pour la prendre à bras le corps, on n’en sort jamais en se contorsionnant à chaque fois devant elle pour tenter de l’éviter. Et je ne vois pas comment on pourrait s’en saisir pour la comprendre autrement qu’en cherchant son origine et sa fin, comme il en va pour comprendre toute chose. C’est au moins ce que j’essaie de faire dans mes travaux, à mon modeste niveau et avec ma veine propre. Je suis bienheureusement parvenu à presque complètement cesser d’être impatient à propos du logique intérêt que cela pourrait ou devrait susciter, et surtout à cesser de trouver ça surprenant.
(*) De préférence à ce qu’il y a juste en dessous, puisque l’existence même des innommables pénis et vagin, leur crainte inavouée ou leur rejet dégoûté, semble avoir été tout récemment dissoute par la poudre de perlimpinpin du « genre » que l’on se donne en toute autarcie libidinale.
(**) Étant entendu que la peur ou la colère, par exemple, en seraient de mauvais!