Réflexions typographiques

« Quanto più un libro è classico tanto più sta bene che la bellezza de’caratteri vi si mostri sola » affermava Bodoni (museo bodoniano). N’est-ce pas aussi le caractère, de plomb ou d’esprit, qui exprime la pensée et permet de donner du sens, avec élégance si possible ?


Où il est, là encore, question de lutter pour des idées réfléchies et contre les idées reçues, mais loin des fureurs de la guerre et seulement à l’échelle de petites escarmouches qui intéresseront avant tout les amateurs du livre et de l’art typographique.

Comme constaté sur les ouvrages composés et édités par Giambattista Bodoni tels qu’ils figurent au museo bodoniano de Parma, qu’il s’agisse de petits ou de très grands formats, et dans quelque langue que ce soit, y compris avec les caractères ainsi nommés « exotiques » (*), la belle composition typographique c’est d’abord la page ; et la page c’est d’abord du blanc.

(*) Greco, Russo, Rabbinico, Caldaico, Siriaco, Arabo, Etrusco, etc.


 

À propos de ladite belle page

« La fabbrica del libro perfetto », museo bodoniano

Dans l’art du livre, qu’il s’agisse de la composition typographique ou de la mise en page, la page ainsi nommée est celle de droite lorsqu’on ouvre l’ouvrage. Elle a toujours une numérotation impaire puisqu’elle commence au folio 1 comme il convient à un recto de page. Les verso sont donc paginés en nombres pairs.

Sa beauté tient à l’ornementation qui caractérisait, et parfois caractérise encore, celle qui est aussi la page de titre (les couvertures commerciales n’ont pris leur essor que récemment dans l’histoire du livre). On peut également noter que la page dite de faux-titre qui précède est insérée entre la page de garde et celle de titre, la première étant constituée du feuillet (bien sûr non numéroté) des pages 1 et 2 et donc la seconde (non numérotée également) celui des pages 5 et 6. C’est ce qui explique que le corps des livres commence en général à la page 7, ou 9 s’il y a auparavant une dédicace ou une épigraphe.

Il est donc logique que cette page de titre, page de droite, recto, qui est aussi celle des têtes de chapitres dans l’ouvrage, se distingue et soit considérée comme plus remarquable que les simples verso de pages impaires. Du reste, lorsqu’on ouvre le livre, dans le mouvement même de son ouverture, c’est celle qui apparaît en premier avant que cette ouverture soit complète et que l’on découvre ensuite la page de gauche ou page paire, c’est-à-dire le verso de la page précédente.

C’est ce qui justifie tout aussi logiquement que cette page soit celle qui, contrairement à ce qui se pratique couramment dans l’édition moderne, porte en en-tête dans tout l’ouvrage le titre, alors que l’éventuel sous-titre ou les têtes de chapitres s’inscrivent dans la continuité du mouvement d’ouverture et apparaissent donc au sommet de la page de gauche, un verso. C’est bien le temps qui ouvre ici à l’espace et qui doit donc avoir la préséance. Considérer à l’inverse le livre déjà ouvert et, de gauche à droite comme feraient des écoliers dans leurs cahiers, mettre le titre sur l’en-tête de la page de gauche et le sous-titre ou chapitre sur celle de droite a précisément quelque chose de scolaire.

Il en va de même avec le folio qui, logiquement toujours, doit distinguer la page de titre ou de chapitre, un recto, en ne marquant pas le numéro de page, alors que les verso/pairs n’ont aucune raison de ne pas être numérotés (sauf au début), y compris donc la dernière page du chapitre qui ne se distingue en rien de celles qui la précèdent, qu’elle soit paire ou impaire. Là encore, c’est l’inverse qui est le plus couramment pratiqué dans l’édition au moins moderne, sans qu’on en sache la raison.

J’ai pour ma part adopté ces façons de faire, dont j’ai récemment découvert la raison, à l’exemple de feu Claire-Lise Mottas qui était la relectrice de mes ouvrages jusqu’à l’année de sa mort en 2013. Ayant collaboré d’abord professionnellement avec elle durant dix ans, j’ai pu apprécier ses larges compétences et son expérience concernant aussi bien la grammaire et l’orthographe que la syntaxe, mais également l’application scrupuleuse et classique des règles de la composition typographique et de la mise en page : choix des caractères, des corps, de la chasse, des justifications, de l’interlignage, des espaces, des marges et autres caractéristiques qui rendent la page belle, et non seulement la « belle page ». Mon expérience de graphiste particulièrement intéressé par la typographie, la plus proche de la lettre, du texte, et donc du sens, mais aussi celle d’écrivain travaillant sa façon et sa veine propre, a permis à la rencontre avec sa propre expérience et ses intérêts de donner lieu à de passionnantes discussions sur le style aussi bien littéraire que typographique. Je lui en sais gré encore aujourd’hui en saluant sa mémoire, même si bien sûr nous n’étions pas d’accord sur tout.

Ma sensibilité à l’art de la composition, qui s’actualise avec cette réflexion sur la bien nommée belle page, se trouve confortée à l’occasion de sereines et radieuses journées d’étude – lors d’un arrière automne qui s’y prête particulièrement – que je m’octroie au museo bodoniano et à la biblioteca palatina, le premier m’ayant été ouvert spécialement par la courtoisie et la disponibilité de sa curatrice actuelle, la dr.ssa Caterina Silva, que je remercie vivement à cette occasion.

Parma, en novembre 2019


 

De la page de titre

Le sujet mis en avant, oui, mais lequel ?

La cinquième page d’un livre, qui est en principe celle de la page de titre, se compose de nos jours avec une typographie dont les lignes sont presque toujours centrées, vestige des temps héroïques du livre. Et, la plupart du temps, avec les mêmes caractères à empattements que ceux utilisés pour la composition du texte de l’ouvrage. Les tentatives plus modernistes de présentation du livre, suivant des alignements décalés, en particulier d’après le célèbre graphisme suisse des années cinquante et soixante (et souvent en polices de caractères Helvetica ou Univers, sans empattements), ont dans l’ensemble fait long feu. Soit. Pour ma part, j’apprécie ce classicisme.

D’un autre point de vue, on peut surtout remarquer que l’origine du livre en Occident, qui remonte au début de la Renaissance, voit le primat de l’artiste comme individu, ceci par rapport à l’artisan anonyme qui caractérisait le constructeur de cathédrales du Moyen Âge dont l’ouvrage allait au-delà de sa personne. Cette progressive individualisation s’est toutefois typographiquement accompagnée du maintien d’une subordination de l’artiste à son œuvre par un signe symbolique fort. Je veux parler de l’ordre dans lequel sont disposés les divers éléments de cette page particulière, et bien sûr avant tout le titre et l’auteur.

Alors que la tendance prépondérante était à préciser d’abord de quoi il était question, puis ensuite par qui (le « par » étant signifié comme tel), on en est venu à la situation contemporaine où prédomine – de façon symptomatique au regard de cette individualisation – le fait de mentionner d’abord l’auteur, puis ensuite seulement ce dont il parle. Comme si l’on disait autrefois « voici de quoi il est question, quel est le sujet ou l’objet du livre », et ensuite « voilà par qui cela est abordé » ; alors que de nos jours, où triomphe la personnalisation, on préfère annoncer, d’abord, « voici qui vous parle », pour préciser, ensuite, « et voilà ce dont cette personne va vous entretenir ». À mon sens, une telle préséance ostensiblement affichée de l’individu, quoi qu’il ait à dire, sur ce qu’il nous dit manque incontestablement de grandeur et, pour cette raison au moins, je n’y suis pas du tout favorable.

En avril 2021


 

De graphie et de typographie

« On n’arrive pas à lire ton écriture ! »

La typographie c’est d’abord la graphie ; enfin, c’était !

Je parle de l’écriture manuscrite de l’adulte, celle qu’il a forgée en transformant la plus ou moins laborieuse conduite de la plume ou du crayon qu’il pratiquait comme écolier pour arriver à une tournure en principe personnelle. Cette graphie qui, sans intermédiaire mécanique et électronique, couche directement la pensée sur le papier, traduit ce qui vient de son intériorité, et dit déjà quelque chose de soi avant même d’avoir pris connaissance du moindre contenu. La graphologie aura-t-elle encore quelque chose à se mettre sous la main dans un proche avenir ? Difficile à dire mais, ce qui est certain, c’est la propension à ne plus savoir lire les écritures un tant soit peu personnelles, simplement parce qu’on n’en lit plus.

Peut-être suis-je de la dernière génération qui sache encore les déchiffrer, alors que les générations qui m’ont précédées les lisaient sans peine puisque cela leur était habituel. Il suffit de s’y essayer en parcourant des documents pas si ancestraux, ceux du XXe siècle, pour s’apercevoir du gouffre en la matière. Et peut-être suis-je aussi de la première génération qui a adopté la dactylographie immédiatement typographiée sur l’écran de l’ordinateur, participant pour ma part à cette perte accélérée.

À une exception près dont les ébauches manuscrites et dactylographiées remontent aux années huitante, je reconnais volontiers ne pas avoir écrit mes livres autrement que directement sur un clavier d’ordinateur ; la retranscription me prendrait trop de temps. Il en va de même pour les écrits de ce site qui sont presque toujours saisis directement sur l’éditeur de contenu (pas les dazibaos, cela va de soi, ni mon CV), et tenant compte de la notable singularité de la page « Écriture », précisément, où j’en ai fait une sorte d’exercice. Pourtant, j’écris encore fréquemment à la plume, que j’aime à conduire sur le papier (notes et idées diverses), et j’ai beaucoup écrit de cette façon par le passé, des textes variés qui ne sont pas publiés (poèmes et rêves anciens notamment, plus récemment un journal).

Confirmant cette évolution sociétale, mes proches me disent eux-mêmes avoir du mal à lire mon écriture lorsque je laisse un petit message pratique sur la table de la cuisine, question qui ne se serait pas même posée au cours des générations précédentes. Il va sans dire qu’il est hors de question que je me remette à écrire comme l’écolier que j’ai été, que je n’ai pas toujours le temps de tracer des lettres détachées, et qu’à vrai dire je n’en ai aucune envie (*).

À propos du fond de cette évolution, je dois sans doute réfléchir encore un peu à l’acceptation de ce qui pour moi ressemble fort à une irrémédiable perte, ainsi qu’à ce qu’elle symbolise, mais j’ajoute que je ne reçois pas non plus comme un cadeau du monde contemporain cette distanciation effrénée d’avec le geste laissant sa trace et qui, à lui seul, traduit déjà l’homme.

(*) Pas plus que je n’envisage, je le précise quand même, la suprême ineptie désincarnée d’un « groupe whatsapp » familial pour ces petits mots occasionnels.

En septembre 2021


 

Titres, sous-titres et surtitres

De leur utilisation à différents titres et en diverses circonstances

Il est fréquent et souvent nécessaire qu’un titre de livre, mais aussi de chapitre ou d’article, soit suivi d’un sous-titre. Ce dernier permet de compléter de manière plus descriptive – mais pas toujours – ce qu’un titre exprime du contenu de l’ouvrage de façon plus abrupte, lapidaire, expressive, en général suggestive, laissant une large part au questionnement du lecteur. Il n’y a guère que les thèses académiques qui, avec leurs titres, fassent d’emblée peser longuement et le plus explicitement possible le contenu manifeste sur les rares lecteurs qui s’y intéresseront peut-être. De façon générale, le sous-titre, comme son nom l’indique, est donc un complément.

Pour le surtitre, il en va différemment. C’est plutôt dans les articles de presse qu’il a d’abord été mis à l’honneur, et maintenant dans différents médias, pour introduire le cadre ou le contexte qui doivent permettre de situer plus facilement le titre, qui lui est en général plus accrocheur. La production littéraire est moins friande de cette « introduction », ne sachant peut-être pas qu’en faire. De façon plus ou moins acrobatique, il est aussi possible de rédiger surtitre ou sous-titre de façon quasiment similaire, leur conférant un rôle comparable de complément au titre. Dans ces cas, leur spécificité devient difficilement décelable.

J’ai eu très récemment l’occasion de recourir au surtitre « La guerre aux idées reçues » pour l’édition d’un recueil des billets de mon blog. Il s’agissait d’introduire au contexte dans lequel ce recueil est réalisé, en tentant d’éviter que ce surtitre ne vienne prendre la place du titre alors qu’il apparaît d’abord. Ce recueil et son contenu, qui font l’objet de ce livre en particulier, sont en effet spécifiques par rapport au thème plus général qui parcourt les différentes pages de mon site web, celui précisément de la guerre aux idées reçues; c’est donc logiquement ce thème qui en forme le contexte. Quant au recueil de billet qui représente le contenu du livre, auquel le titre est ainsi dévolu, je lui ai donné sa couleur particulière en le nommant « Blog de combat », simplifiant l’appellation complète qui aurait du être, mais un peu lourdement, « billets de blog de combat ». Pour éviter toute méprise à propos de cette répartition spatiale et temporelle dans la lecture, on pourrait répondre que j’eusse pu faire du surtitre un sous-titre. J’y ai bien sûr songé, mais ai préféré que celui-ci apparaisse comme une introduction, un contexte donc, plutôt que comme une précision à postériori. J’ai ainsi estimé lui donner plus de poids tout en lui gardant son rôle, secondaire, de contexte. C’est, je l’espère, ce qui ressort de la page de titre du livre lui-même, à laquelle j’ai gardé sa typographie classique comme j’aime à le faire.

C’est à propos de la couverture que la question s’est posée un peu différemment. Bien que de facture purement typographique, celle-ci peut pourtant plus facilement faire œuvre originale. La solution retenue à consisté à faire de ce surtitre un nuage de lettres un peu évanescent, par un espacement approprié du lettrage, espérant lui conférer ainsi son rôle contextuel. Afin d’accentuer cet effet, le titre lui-même « Blog de combat », a été composé en caractères gras et en capitales. Cette solution, qui devrait évidemment, dans l’idéal, sauter aux yeux du lecteur, pourrait être traduite ainsi : « voici un blog de combat constitué de billets dans le contexte de la guerre aux idées reçues menée par l’auteur ». Mais ce qui en advient finalement à la discrétion du lecteur reste toujours mystérieux, quels que soient les efforts de l’auteur, de l’éditeur et du graphiste pour faire passer le message. Il en va du reste ainsi comme du contenu de l’ouvrage lui-même.

En février 2022


 

An Art&Craft company

Et d’abord, pourquoi une company ?

Comme il appert dans le lien d’un billet de blog de ce même mois de décembre où j’ai tout d’abord signalé sa présence, c’est la création d’un logotype qui a été l’occasion et a permis de développer le projet d’une entité imaginaire et symbolique d’inspiration « Arts & Crafts ». J’y ai aussi mis en évidence la raison de son existence projetée. On peut voir ce logo et lire cette raison ici :

C ‘ e s t   q u o i   A r t & C r a f t  ?

Est.[ablished] in december 2022