Comme durant ma jeunesse il y a un demi siècle, revient aujourd’hui en force l’utilisation du terme fasciste pour qualifier celui dont la pensée et l’action sont considérées comme totalitaires, visant une hégémonie indue et du coup insupportable. On disait aussi, de préférence pour les visées extérieures (les États-Unis au Vietnam et ailleurs) : impérialiste. Cela ne devrait cependant pas masquer le fait que le fascisme est une réalité politique et historique bien précise, somme toute récente à l’aune de l’humanité. Les régimes en vigueur en Allemagne et en Italie pas si longtemps avant ma naissance étaient des régimes fascistes, même si totalitarismes et dictatures de par le monde sont hélas loin de se résumer à cette appellation contrôlée.
Le fait qu’un parti politique qui se réclame d’un tel héritage vienne en tête des résultats aux élections de celui qui est aussi mon pays m’interroge donc tout particulièrement. Je rappelle que le parti en question, « Fratelli d’Italia » est le descendant direct du mussolinisme par son prédécesseur qui a marqué dès la fin de la seconde guerre mondiale – mais oui! – toute la deuxième moitié du siècle passé, le MSI (mouvement social italien), avec son tristement célèbre attentat-carnage de 1980 en gare de Bologne, et qu’un certain Berlusconi a en quelque sorte réhabilité lors d’une alliance pour son pouvoir personnel un peu plus de dix ans après. Ce Berlusconi qui a ouvert la voie à Trump aux États-Unis, et dont la face cireuse anime encore et toujours les écrans italiens, permettant à son parti à l’hégémonisme avant tout économique – l’abrutissant et sportivo-télévisuel « Forza Italia » – d’accéder encore une fois au pouvoir, en compagnie du troisième larron de la Ligue du Nord, incarné de son côté par le populiste et vitupérant Salvini.
Triste tableau dira-t-on, mais dont une majorité de votants paraissent s’accommoder dans l’Italie d’aujourd’hui. Que peut-il dès lors y avoir derrière le recours populaire à une telle dictature de l’ordre et de l’hégémonie nationaliste ?
J’ai l’impression un peu pénible de me répéter mais je ne vois guère une autre explication que celle d’une profonde immaturité collective d’origine affective, irrationnelle comme il se doit, scellée dans un déni des horreurs du passé qui fait en même temps y régresser fiévreusement sans s’en rendre compte. Obnubilés par de profondes frustrations et la légitime colère qui s’y attache, ceux qui finissent par adhérer à de telles visions totalitaires sans avoir l’air d’y toucher ne cherchent pas à voir plus loin que le bout de leur nez. Les gens qui aiment ainsi se plaindre, et qui surtout s’en contentent, y trouvant un bénéfice défoulatoire, n’apprécient en général pas trop de revisiter le passé collectif, comme il en va aussi du leur en particulier. Ils restent assis le cul par terre, tendant les bras vers un ou des sauveurs providentiels représentant une imago toujours parentale à l’origine (en ce moment, c’est la mère qui semble primer), coincés dans leur attente d’une solution miracle qui ne peut évidemment relever que du mirage.
Ce sont ces gens-là les soutiens passifs du fascisme organisé, et c’est bien cela qui devrait au premier chef nous inquiéter, nous qui les côtoyons journellement. Nous pouvons surtout constater la dramatique augmentation de leur poids dans les urnes, et bien plus largement que dans les frontières de la botte, mais sans qu’ils aient encore l’excuse de la soumission à une dictature de fer, comme dans l’Allemagne et l’Italie d’il y a bientôt un siècle ou dans la Chine et la Russie d’aujourd’hui. Peut-être qu’avec un peu de patience…
Bravo Jean-Pierre pour ce billet ! C’est tellement vrai et juste et si bien écrit !
Merci, Bruno, pour ton message.
A la relecture, peut-être n’ai-je toutefois pas assez insisté sur le fait que cette vaine attente concerne toutes les nations dont le système politique repose plus ou moins sur une représentation de l’homme ou de la femme providentiels, ce qui fait un bon paquet.
Ton chaleureux encouragement me donne l’occasion de le souligner.