J’apprécie beaucoup de pouvoir faire les choses moi-même. Tout ce que je peux réaliser à mon initiative, selon mon idée, à ma façon, en suivant ma propre démarche, aboutissant à un résultat que je revendique et que j’assume, cela me convient fort bien. En toute liberté. Que d’autres y soient impliqués pour m’aider dans la réalisation de mon projet n’est en rien contradictoire avec cette satisfaction, car j’apprécie tout autant de pouvoir aider celui ou celle qui réalise son propre désir. J’ai aussi fréquemment mis en œuvre des activités et du travail en commun, basé sur l’échange et sur la confiance, dans toutes sortes de situations privées ou publiques.
Difficile par contre de trouver plus radical pour me prendre à rebrousse-poil que l’injonction à « faire soi-même », injonction qui a si souvent cours aujourd’hui. C’est en général le cas sous prétexte de disponibilité de toutes sortes d’applications proposées ou imposées par des informaticiens, des vendeurs, des gestionnaires, des administratifs, ainsi que tous ceux qui les emploient et économisent ainsi de la main d’œuvre. On me suggère alors avec insistance de réaliser l’intérêt que j’ai à prendre sur moi, par ce biais, toute responsabilité que des professionnels assuraient autrefois. « Parce que c’est plus simple », dit-on avec aplomb sans se donner la peine de préciser pour qui. Je vois bien que ce « do it yourself » qui eût tant de succès dès les année septante dans les supermarchés, avant même l’ère numérique, mais si incroyablement répandu et renforcé depuis, n’est rien de moins qu’un miroir aux alouettes pour se désengager soi-même en tant que fournisseur de biens ou de services. Comme quand je devrais devenir moi-même caissière dans les magasins de la grande distribution qui engrangent des marges considérables tout en économisant du personnel sur mon dos (« c’est tellement plus simple! »). Et cette donne est la même dans les administrations publiques ou dans l’économie privée dont les méthodes sont largement similaires aujourd’hui.
Pour être complet, je précise que c’est à toutes formes d’injonctions que je suis fondamentalement rétif. Celle des ayatollahs de la technocratie qui la font sournoisement proliférer aujourd’hui en prétendant nous dire ce que nous devons faire et être comme humains « autonomes », en toute liberté bien entendu, et si facilement, est hélas loin d’être unique.
On peut rêver que nous réservions ne serait-ce qu’une petite part du temps consacré à tout ce « je fais moi-même » journalier pour prendre plutôt notre propre destinée humaine à notre compte, y pensant pour une fois sérieusement. Mais n’est-ce pas précisément pour l’éviter que cet occupationnel auto-suffisant à flots continus fonctionne si bien et sans contestation, avec son réservoir de pouvoirs largement imaginaires qui n’empêchent pas les plus profonds et bien cachés sentiments de désarroi face au sens de tout cela ?