J’ai parfois été surpris de constater que les personnes qui paraissent s’indigner d’une surveillance généralisée dans nos sociétés, en particulier au moyen des outils si performants qui nous occupent à longueur de journée, mais pas seulement, sont souvent les mêmes qui ne remettent guère en cause cette utilisation par laquelle ils consentent largement à fournir tout ce qui permet cette surveillance. Je ne parle pas même de ceux qui ne s’en offusquent que mollement, pour suivre la tendance, voire pas du tout, et que cela ne semble au fond pas gêner le moins du monde; peut-être une grande majorité.
Ayant déjà eu l’occasion de mettre en évidence le lien qui pouvait exister entre, d’une part, le besoin d’exercer un pouvoir démultiplié et un auto-contrôle fantasmés grâce à ces instruments et, d’autre part, la relative innocuité vécue par rapport à cette surveillance systématique, je n’y reviens pas. Bien que l’ayant également mentionné dans mes écrits, je crois cependant avoir encore sous-estimé un autre aspect qui permet de mettre en lumière les liens entre cette surveillance et la soumission. Il suffit pour cela de tirer toutes les conséquences du fait que le sentiment de toute-puissance et de contrôle sur soi et sur le monde constitue bien un fantasme qui, comme tous les fantasmes, vise à compenser quelque chose.
Et il n’y a généralement pas besoin d’aller très loin pour trouver de quoi relève une compensation, dans quelque registre qu’elle se manifeste. C’est à chaque fois son inverse qu’il faut considérer pour mettre le doigt sur ce qu’elle est destinée à masquer, que ce soit à soi-même ou aux autres. Nulle surprise, donc, de voir que ce plus ou moins diffus mais bien réel sentiment de pouvoir et de contrôle vise à garder dans l’ombre son opposé, le sentiment d’impuissance et de dépendance le plus largement répandu, celui qui remonte à nos origines existentielles et qui gouverne si largement l’entier et la finalité de ce que nous sommes.
Tout le monde vous le dira : « nous ne sommes rien à l’échelle de l’univers et n’avons nul choix face à ce qui nous attend ! ». Il en découle que nous sommes entièrement soumis, à la Nature ou à Dieu suivant la croyance qui nous anime, ainsi que nous l’étions dès le départ à sa Maman et à son Papa comme on dit volontiers de nos jours pour accentuer encore l’infantilité de cette dépendance. Ce sont en effet bien eux par qui nous sommes surveillés au départ – bien si possible, et heureusement quand nous sommes enfants – et à qui nous sommes quoiqu’il en soit immanquablement soumis. C’est là notre lot le plus commun et des plus ordinaires à l’origine. Et c’est donc cela que nous reproduisons ensuite dans toutes sortes de situations tant que nous ne nous posons pas la question. C’est du reste là que réside pratiquement l’entier du problème, que nous ne nous posions pas même la question.
D’une libération à ce propos, qui devait être la marque d’un état adulte, il ne semble hélas pas beaucoup être question, sinon de façon anecdotique. Ou alors je deviens malentendant, et n’aurais que des motifs de m’en réjouir, à ce propos tout au moins, ne demandant qu’à être instruit sur cette lutte d’indépendance dont je ne percevrais pas le murmure qui sourd, du verbe sourdre bien entendu.