Lisant la brochure d’information du conseil fédéral sur la prochaine votation concernant les mesures policières prévues pour la lutte contre le terrorisme, j’apprends être rien de moins qu’un potentiel membre de cette sinistre nébuleuse par rapport à laquelle j’ai cru jusqu’à aujourd’hui entretenir la plus grande circonspection et maintenir la plus adéquate distance, bien éloigné de l’idée de terroriser moi-même qui ou quoi que ce soit. Et pourtant ! J’aspire effectivement « à influencer ou à modifier l’ordre étatique », qui ne me convient pas tel qu’il est avec ses nombreuses injustices, et ne peux garantir qu’en attirant l’attention de mes concitoyens sur les conséquences potentielles de celles-ci, il ne puisse en résulter une « propagation de la crainte » (de l’injustice en l’occurrence). J’ai du reste déjà eu recours à cette entreprise de déstabilisation dès la première ligne de ce billet, n’attribuant pas à ce gouvernement la majuscule qu’à mon sens il ne mérite pas même dans le cadre de sa tentative liberticide. Ce n’est certes qu’un début, mais qui peut paraître prometteur.
Quand on me dit en outre que cette définition est celle déjà inscrite dans la loi fédérale sur le renseignement, je réalise que, décidément, je n’ai à l’époque pas vu passer le coche, ce qui me montre que je manque encore de vigilance. Je vois à vrai dire peu d’états totalitaires qui jugeraient une telle définition générale indigne de leur panoplie répressive, en guise de préambule tout au moins, et même si ceux-ci sont évidemment capables d’y ajouter de nombreux et ingénieux perfectionnements. Donc, je respire, garde mon calme, me détend, et propose de voir cela plus précisément, pendant que je suis encore libre de mes mouvements.
Qu’est-ce en fait que cet ordre étatique qui ne devrait en rien être influencé ou modifié ? Et d’abord, qu’est-ce que l’état ? Rien de plus qu’un moyen de favoriser le vivre ensemble dans les meilleures conditions possibles pour tous, ceci dans le cas le plus favorable, et, dans le pire, un outil qui donne les conditions optimales au petit nombre pour faire travailler le grand nombre, être nourri par lui, et le gouverner, selon l’idéal voltairien dont le cynisme ne s’est jamais caché ni démenti bien longtemps dans l’histoire. Concrètement, le citoyen n’a pas à servir l’état, c’est l’état qui est institué au service des citoyens, dans un système démocratique tout au moins. Que celui-ci remplisse mal sa fonction, ou que cette fonction soit dévoyée quant au but, et il devient plus que légitime, nécessaire de le questionner, avec pour objectif minimum d’influencer, mieux, de modifier ce fameux ordre, c’est-à-dire sa constitution. C’est du reste ce que nous faisons en Suisse, votation après votation, introduisant des modifications de son « ordre » constitutionnel. Qu’on ajoute ensuite à la définition que cette modification soit « susceptible d’être réalisée ou favorisée par des infractions » ou leur menace n’enlève rien à sa première partie et à son fondement attentatoire à la liberté à priori du citoyen.
On voit en réalité clairement de quel côté de l’échiquier politique se situent ceux dont le maintien de l’ordre en place et des privilèges acquis fait partie des priorités, l’état étant pour eux avant tout un garant de cet ordre qui permet en particulier les gigantesques écarts de moyens d’existence dont ce pays est pétri, avec sa richesse éhontée pour le petit nombre et sa pauvreté particulièrement bien cachée pour une partie de la population bien plus importante qu’on le croit généralement. Est-ce bien cela la justice sociale dont nous voulons ? Et la terreur de l’asservissement des plus pauvres, qui vivent journellement la peur au ventre, n’est-elle pas largement privative des libertés du peuple dont on aime tellement répéter qu’il est souverain ? Viser des activités terroristes potentielles avec une définition aussi potentiellement liberticide pour qui songerait à modifier un tel « ordre étatique », voilà une menace des plus inquiétante, proférée bien évidemment sous couvert de protection.
Il n’est ainsi pas difficile de voir qui propage véritablement la crainte : avant tout ceux dont l’intérêt est précisément de fourbir un arsenal répressif contre toute velléité de modifier l’ordre existant. Mais en cela, il n’y a hélas aucune actualité ni rien de nouveau sous le soleil.
Si un interrogatoire plus poussé s’avère utile, je reste bien entendu à disposition.