De façon tout à fait générale, une critique à l’endroit des pères et des mères pourrait éventuellement, à la rigueur, en dernière extrémité, se concevoir, quand il n’y a vraiment pas moyen de faire autrement, lorsque la situation dégénère et que les difficultés ne peuvent plus être cachées. Cela au risque alors de se retrouver seul avec les conflits dus aux faiblesses, rejets, manques ou absences qui ont pu avoir cours avec eux, ce qui apparaît toujours comme la dernière chose à envisager. C’est la raison pour laquelle de nos jours on n’en entend quasiment plus parler sous ces vocables adultes, y compris dans l’espace public et les médias. Dans les interviews il n’est désormais plus question que de son, sa, ou de votre « papa » ou « maman », sous un jour nécessairement infantile, régressant ainsi ou restant fixés à cette étape de l’existence comme j’ai déjà eu l’occasion de le préciser dans un autre billet de ce blog. Ainsi nommés, ceux-ci sont intouchables, de par la protection qu’ils sont censés assurer à l’enfant qu’il faut rester pour cette raison même. Tout s’est dès lors toujours plutôt bien passé avec eux, sans problèmes ou conflits trop sérieux, pour ne pas risquer de mettre à mal cette protection ultime.
Revisiter vraiment ce qui s’est passé avec ces figures familières, vous n’y songez pas sérieusement ! Ou alors c’est aussitôt extrêmement grave, d’une gravité existentielle, une insupportable tragédie, et cela ne devrait simplement pas pouvoir être; l’on plaint aussi amèrement ceux qui n’ont pu y échapper. Un tel repoussoir apparaît bien pratique pour qui souhaite ne pas avoir à se plonger dans un passé qui demeure ainsi dans sa masse de matière sombre et nébuleuse. Du reste parler des problèmes que l’on a rencontré avec son père ou sa mère – on sait maintenant qu’il n’y en a pas eu avec son papa ou sa maman – fait tellement rabâchage psy qu’on peut aisément le prendre de haut, et donc le traiter avec le plus souverain mépris. On l’a compris, les problèmes que l’on peut rencontrer dans le cours de son existence ne viennent à l’évidence pas de là.
Et pourtant. Les séances de la série télévisée « En thérapie » (« BeTipul » pour l’original israélien dont l’interprétation n’est guère convaincante, « In Treatment » pour l’excellente première reprise anglo-saxonne), ces séances donc semblent jouir d’un grand succès. Il y a là comme un appel d’air qui paraît clairement intéresser, combler une attente, fournir de l’énergie lumineuse qui passe toujours par de la conscientisation, et donc un certain travail, celui de la psychothérapie en l’occurrence. Il faut dire que la qualité de leur scénarisation et de leurs interprétations (*) est remarquable de profondeur et de simplicité dans l’énoncé de ce dont il est à chaque fois question, pour chaque cas et dans chaque situation.
Et qu’entend-on au cours de ces séances, dont la durée d’environ vingt-cinq minutes rend extrêmement bien ce qui se dit habituellement dans le double de temps, par un sens du raccourci qui n’apparait jamais comme tel ? Et bien il est question, au travers des expériences présentes des analysants, de la véritable relation qui prévalait avec leur père et avec leur mère, précisément. Cela sans emphase ni ostentation, simplement parce qu’il apparaît que les redites du présent, les revécus, ainsi que les troubles qui les tissent rendent cette remontée dans le temps inévitable pour comprendre la souffrance ou le malaise actuels. J’ai déjà eu l’occasion de mentionner ailleurs que la première saison était pratiquement tout entière dédiée à, et les diverses situations expliquées par, le déni des faiblesses, de l’absence ou du rejet paternel qui étaient surcompensés (les psy disent contre-investis) par des motions favorables à son égard – avec, bien entendu, un transfert négatif sur le thérapeute qui ose questionner à ce propos –, témoignant d’un infini besoin de son illusoire protection.
C’est là la leçon de cette série que l’on dit à succès, ce qui doit être bien relatif par rapport à celles, les plus populaires, qui visent plutôt à se divertir. Il est du reste facile d’en déduire que le succès de celle-ci est dû à un public intéressé et averti, constitué de sujets qui cherchent à aller au-delà de leurs dépendances initiales et continuées au vécu affectif avec les parents, osant y voir les conflits de plus près (**). Il va sans dire que lorsque les médias nous relatent ce succès, il n’est jamais question de ce contenu mais seulement de son contexte lié (dans le cas de la deuxième saison) au confinement Covid qui n’apparaît pourtant quasiment pas dans les divers épisodes et qui ne reste qu’une toile de fond anecdotique. On ne saurait évidemment s’en étonner puisqu’il faudrait, pour parler vraiment du contenu, dépasser les questions journalistiques presque toujours bébêtes sur les papas et les mamans.
Quant à sortir de ce besoin de protection « inconditionnelle », dans un monde moderne et contemporain qui en a fait une ultima ratio par abandon de toute autre perspective, c’est précisément à ce point que les vraies questions philosophiques qui donnent un sens à l’existence commencent à se poser, mais c’est déjà une autre histoire.
(*) À la réserve près de celle de la superviseuse Charlotte Gainsbourg, que l’on sent peu à l’aise et qui « fait la psy », ce dont nous ont dispensé pour le même rôle, et avec maestria, Carole Bouquet lors de la saison précédente et Dianne Wiest dans la version états-unienne. Qu’une telle retenue puisse tenir au personnage voulu dans le scénario n’épuise pas complètement cette réserve, surtout en comparaison avec les autres acteurs dont l’intensité et la vérité du jeu sont impressionnantes.
(**) Avant de les voir en face pour se mettre en mesure de les dépasser, ce qui ne peut bien entendu se faire que dans le cadre de sa propre thérapie.