Bruit de bottes

Ainsi que nous le révèle le wiktionnaire, il s’agit précisément, au sens à peine figuré, de mouvements militaires laissant augurer [de] l’imminence d’un conflit. Comme une botte est aussi un fagot, on peut dire qu’il semble ne plus manquer en ce moment qu’une allumette pour embraser l’actuelle Europe de l’est aux frontières avec la Russie. À entendre les protagonistes – et si l’on cherche à dépasser les clivages historiques bien huilés par leurs idées toutes faites, s’identifiant à telle ou telle puissance ou ensemble de puissances –, savoir qui se fait véritablement menaçant semble de prime abord compliqué.

Si chacun à l’Ouest a bien compris que les missiles soviétiques installés à Cuba au début des années soixante pouvaient difficilement être interprétés autrement que comme une agression, on ne devrait guère être étonné que de possibles bases militaires installées par l’Alliance atlantique en Ukraine ou en Géorgie ne soient pas considérées différemment côté Russe. Chacun des protagonistes jure pourtant n’agir que sur une base défensive évidemment. C’est toujours l’autre qui est menaçant et contre lequel on se prémunit par un arsenal dont les complexes militaro-industriels font leurs choux gras (plutôt à l’est) ou leurs hamburgers dégoulinants (plutôt à l’ouest), bien que la mondialisation économique ait grandement relativisé la géographie de ces us et coutumes alimentaires.

N’en va-t-il pas toujours ainsi dans les conflits? On ne s’en prend à l’autre qu’en prétendant que c’est bien lui qui a commencé, jamais soi-même. Si, du point de vue des affects humains originaires, ce sens causal est parfaitement justifié, on pourrait attendre d’adultes qui devraient avoir dépassé ce stade du développement, soit celui de la contre-dépendance agressive qui succède toujours à la dépendance éplorée, qu’ils soient enfin parvenus à considérer véritablement l’autre en toute indépendance. Cela, en sachant que derrière toutes les rationalisations possibles et imaginables, politiques, économiques ou autres, tourne toujours le moteur affectif originaire qui maintient dans la dépendance ou conduit à l’indépendance.

À l’exemple des Russes et des États-uniens dans la situation actuelle, mais on l’observe en fait dans tous les conflits, on voit ainsi d’abord que chacun se dit menacé et jamais menaçant et, ensuite, que les conflits extérieurs interviennent systématiquement quand il s’agit de détourner l’attention de problèmes intérieurs qui mettent en péril son propre pouvoir. Comme le savent les historiens, ce ne sont pas les exemples de ce type de stratagème qui manquent dans le long cours des événements et des civilisations. Une bonne guerre qui tombe à pic semble difficile à surpasser dans ce domaine, tout en jurant ses grands dieux que l’on n’a pas pu faire autrement et que l’on a tout fait pour l’éviter.

La tentation régressive (dans le cas des démocraties), ou la fixation (dans les dictatures) au stade de développement sadique anal des déflagrations plus ou moins ouvertes ou déguisées prend alors le pas sur un véritable dialogue. Dialogue dont la vérité se révèle avec celui que l’on juge à priori intéressant, et avec qui l’on souhaite des rapports constructifs, en jaugeant ce que l’on a à apporter et ce dont on peut bénéficier; pour autant, bien entendu, que la réciprocité soit seulement envisagée et non déniée à priori. Encore faut-il pour cela se rencontrer dans un tel état d’esprit adulte ayant parcouru tous les stades du développement humain, ce qui semble plus que jamais improbable derrière les apparats diplomatiques, industriels, financiers, à « proprement » parler politiques au sens le plus borné qu’il soit possible de donner à ce terme.