Précision à propos d’un fameux traumatisme

Dans un papier récent concernant les géniteurs dont j’ai donné le lien sur mon billet Patriarcat ou matriarcat?, je signale le traumatisme de la naissance comme présentant la double face d’une séparation vécue en tant que largage et abandon d’une part, avec maintien de la dépendance la plus complète à autrui d’autre part (*). Bien que des plus déplaisant, et suivant donc la propension courante à ne pas s’y arrêter, ce passage incontournable vers la lumière du jour s’inscrit dans un processus plus large sur lequel il me semble utile de revenir brièvement pour une clarification.

Avec son livre de 1924 précisément appelé Le traumatisme de la naissance, qui a fait trembler sur ses bases la psychanalyse freudienne qui ne pensait pas remonter aussi loin, Otto Rank (qui ne s’y montre certes pas toujours convaincant) présente ledit traumatisme comme consécutif au fait de quitter un endroit merveilleux dont il était et est toujours traditionnel de faire une sorte de paradis sur terre. C’est ainsi cette perte qui guiderait la constante recherche d’un tel refuge et impliquerait la tendance au fantasme de retour dans le passé. Voilà qui explique sans doute également la popularité du matriarcat comme source d’une telle protection imaginaire, nécessairement bienveillante et heureuse, et ceci en dépit de la réalité d’un largage qui conduit inexorablement à une finitude vue comme la pire des destinations, devant être refoulée précisément pour cette raison. Cela, sans même investiguer le cas des rejets initiaux du père ou de la mère, dont la fréquence est attestée par les traitements qui s’ensuivent, eux aussi plus souvent refoulés qu’à leur tour.

Or, si les cris témoignant de la détresse bien connue de ce moment de la naissance sont spectaculaires, ne pouvant bien entendu pas exister avant, l’extraordinaire dépendance qui s’atténue légèrement après n’en constitue pas moins la continuation de celle qui existe déjà avant, dans l’enfermement le plus complet. L’enfer du largage et de l’abandon ressentis comme insupportables est alors avantageusement remplacé par le purgatoire de la dépendance, qui se maintient longtemps encore chez le petit d’homme, la plupart du temps l’existence durant sous une forme ou sous une autre. Demeurant plus ou moins dans l’espoir d’une issue favorable peuplé de fantasmes régressifs, cette dépendance persistante relativise d’autant la différence entre l’avant et l’après naissance (**).

Ce n’est ainsi que très progressivement, au travers des étapes vers l’indépendance et l’accession aux libres choix, que l’horizon d’événements peut être éclairé sous un jour autre que cet enfer ou ce purgatoire. Parmi ces événements, notons encore que c’est à la naissance que l’on peut le plus justement opposer la mort, plutôt qu’à la vie qui se réduit si souvent au seul fait d’exister sans la moindre perspective raisonnée, se débattant encore et toujours dans les effluves de cette dépendance primordiale décidément si difficile à conjurer.


(*) Séparation traumatique et ses conséquences dont on imagine aisément qu’elles puissent suffire à expliquer l’amnésie infantile qui les recouvre ensuite.

(**) Ce que, de ce point de vue de la dépendance, Freud n’avait pas manqué de relever en réponse aux observations de Rank.