Il est courant d’admettre les idées reçues comme à tout le moins problématiques, sinon clairement inadéquates ou même franchement fautives dans les cas où elles se révèlent contraires à la réalité observée. On reconnaît volontiers que ces idées toutes faites et héritées d’on ne sait quand ni de qui sont à remettre en cause, soit à leur juste place d’idées que l’on appelle aussi préconçues. Et pourtant, dans nombre de situations de la vie courante, on s’en accommode en réalité assez bien. Ceci d’autant plus que l’on ne prend généralement pas la peine de les amener à la conscience pour en prendre la mesure et voir ce qu’elles impliquent véritablement, sauf dans les cas où elles contreviennent manifestement à une évidence que l’on ne peut ignorer. C’est par exemple le cas lorsque le réchauffement climatique provoque des événements extrêmes, à la fois chauds et… froids, et qu’il faut donc dépasser un apparent paradoxe. J’omets volontairement ici la position infantile de ceux qui défendent mordicus leurs idées reçues les plus contraires à la simple observation, leur ayant déjà consacré à plus d’une reprise dans ces billets bien davantage de temps qu’il n’est raisonnable.
« Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le afin de le posséder ». Cette citation du Faust de Goethe, popularisée dans son livre Totem et tabou par un Freud qui appréciait particulièrement cet auteur, signifie clairement qu’un héritage non questionné ne peut aboutir à une appropriation véritable. Il constitue au contraire trop souvent une simple reproduction de génération en génération des travers ou des penchants d’autant plus agissants et efficients qu’ils sont inavouables. Dans le meilleur des cas, on ne peut rien faire d’un tel héritage non conquis par la réflexion et la mise en œuvre (car à ces idées il convient d’ajouter les pratiques qui leurs correspondent), et il ne nous mène nulle part; dans le meilleur des cas.
Et dans le pire, demandera-t-on avec juste raison ? C’est bien là où l’on entre de plein pied dans le domaine de l’inavouable. On aime à clamer un idéal de liberté dont on ne veut au fond pas le moins du monde, en particulier lorsqu’il implique de choisir le sens de sa destinée et toutes les conséquences qui en résultent, et l’on se contente en général très bien des idées reçues qui nous disent que précisément nous n’avons pas le choix. Pas le choix de la destination de sa mort, pas plus que celui de son orientation sexuelle, qui nous sont tout aussi bien imposées, ceci pour prendre les deux tabous (*) les plus influents sur tout le cours de notre existence. Pas le choix donc de remettre en cause tout ce dont nous héritons comme idées et pratiques reçues à ce propos, dont nous prenons bien garde de ne pas le conquérir ou nous l’approprier, plus simplement de nous en approcher. De façon ici un peu lapidaire (**), on peut dire que c’est bien là tout le problème des idées reçues qu’elles ne soient pas questionnées un peu sérieusement, ce que je tente pour ma modeste part de faire sur un champ qui n’est rien de moins qu’un champ de bataille comme cela est facile à constater.
(*) Le premier imposé par Dieu le père ou par mère Nature, le second par on ne sait qui.
(**) On admettra sans peine qu’une question aussi brûlante ne puisse se traiter en deux coups de cuiller à pot et qu’elle justifie un approfondissement que l’on trouvera facilement ailleurs.