Bénéfice du catastrophisme

Reconnaissance des catastrophes réelles et état d’esprit catastrophiste sont deux choses bien différentes. Celui qui prône la catastrophe n’est du reste pas nécessairement celui qui les reconnait quand elles existent vraiment, ou tout au moins qui en tire les conséquences et agit pour changer. La plupart du temps, il se contente de s’alarmer et d’alarmer les autres, prétendant qu’il ne fait qu’observer la réalité, vivant du fond de commerce qui consiste à injecter sa vision désolée sur un mode toujours plaintif, systématiquement vindicatif et dénigrant, ainsi qu’à s’attacher ceux qui, comme lui, cultivent à la fois la peur, bien légitime, et la peur de changer, qui peut être redoutable.

Le suicide collectif programmé au moyen de l’augmentation irréfléchie du gaz carbonique sur la planète, les guerres civiles quand la misère et l’injustice conduisent à la révolte, les abus sexuels sur les enfants et les adolescents, les violences domestiques entre conjoints et dans les familles, voilà de véritables catastrophes qui montrent ce qu’il faut changer.

Surfer sur une peur légitime que l’on entretient du coup sciemment en disant que l’on ne peut rien faire pour notre avenir et qu’il vaut mieux, par exemple, ne plus avoir d’enfants et en finir par la même occasion avec l’espèce humaine; ou prétendre que la présence d’étrangers toujours trop nombreux sur son sol va inévitablement conduire à une guerre civile (comme tel trublion d’un pays voisin tente de l’inoculer en ce moment); ou encore se plaindre du fait que les terribles violences auprès des proches faibles et vulnérables seront inévitables tant que les hommes seront des hommes, cela c’est du catastrophisme. Il y a toujours, dans le catastrophisme, un refus de changer vraiment qui en est le signe distinctif dès qu’on creuse un tant soit peu. Le but, complaisant avec soi-même, c’est avant tout de pouvoir se plaindre et de se maintenir dans cette plainte.

Mais alors, quel bénéfice peut-on voir à l’état d’esprit catastrophiste dira-t-on? Comme toujours, il s’agit d’un bénéfice affectif et psychologique, à chaque fois personnel même quand il se multiplie en masse sur le marché de la peur balancée — les psy disent « projetée » — sur le monde et les contemporains, les autres étant toujours les seuls et vrais coupables. Les mêmes psy parlent à ce propos de « bénéfice secondaire » de la névrose. Il n’est pas trop difficile de voir que le côté systématiquement plaintif correspond en réalité à un état plus ou moins dépressionnaire, mais avec le « bénéfice » d’une décharge et d’un soulagement, au fond illusoires, auprès de ceux qui l’éprouvent également. Quant à l’aspect vindicatif et dénigrant, il relève lui plutôt de la paranoïa, dont le dédommagement mégalomaniaque ne manque jamais de compléter le rejet des « vrais » coupables (si l’on nous rejette ainsi, c’est parce que nous sommes les seuls qui avons compris!).

Qui dit bénéfice secondaire devrait pourtant comprendre qu’il y a un bénéfice principal, consistant à changer, et que seul celui-ci permet de vivre mieux. Encore faut-il pour cela, bien entendu, que l’objectif soit de mieux vivre.