La fragilité du statut de père a de tous temps tenu à son invisibilité en termes de procréation et de filiation. Il a toujours fallu une attestation de reconnaissance, que ce soit par la transmission du nom ou l’exercice de l’autorité parentale, alors que l’imposante visibilité de la grossesse et de l’accouchement la rend superflue pour la mère. Lorsque c’est le doute qui impose sa manière de voir, comme il en va dans de nombreuses cultures, on comprend que ce soit la transmission matrilinéaire qui soit à l’honneur, ce qui simplifie les choses; apparemment tout au moins.
Je ne suis pas très éloigné de penser que ce sont cette fragilité et ce doute fondateur qui ont si longtemps généré, en réaction, le besoin patriarcal de revendiquer sa place haut et fort, hélas trop souvent de façon violente ou abusive en effet. En ces temps où les voix qui se font le mieux entendre dénoncent ce patriarcat, il peut être utile de se rappeler qu’il n’existe malheureusement aucune société qui ne soit ni patriarcale ni matriarcale. Ces dénonciations impliquent donc de facto que ce soit à une société matriarcale que l’on aspire, et vers laquelle on court du reste à grands pas, comme en témoigne une certaine doxa qui veut de nos jours que le féminin ou le maternel soient automatiquement associés à du positif, alors que le masculin et le paternel ne seraient à priori que négatifs, à tout le moins suspects. J’espère que nous sommes nombreux à vivre nos paternités autrement, sans pour autant se mettre en devoir de mimer un rôle maternel qui tend à devenir l’unique référence, mais il faut bien admettre que ceux qui se taisent ne peuvent pas avoir la raison de leur côté.
Le problème que l’ont croit pouvoir ainsi ignorer ou contourner, c’est que les rôles paternels aussi bien que maternels inscrits dans l’humanité ne disparaissent pas dans la nature, ni au plan physique, ni au plan symbolique, pas plus qu’au plan imaginaire, et qu’ils continuent d’exister au-dessous ou au-dessus des radars, accomplissant leur œuvre dans la plus parfaite inconscience. Cela rend évidemment les choses un peu plus compliquées.
Au moment où les termes de père et de paternité perdent leur reconnaissance et leur attestation populaire dans les textes légaux, entérinant cette marche vers le matriarcat dont les conséquences méritent une discussion un peu approfondie, je renvoie à une contribution sur le rôle du père publiée récemment ici même en rapport avec notre humaine détresse originelle, bien que je sache cette dernière des plus impopulaires : L’énigme de la Hilflosigkeit.
Quant au plus général « problème des géniteurs », pères ou mères, que ce soit dans un contexte de matriarcat ou de patriarcat, problème guère moins impopulaire que le précédent dans la mesure où il y est étroitement lié, une petite réflexion toute fraîche peut être lue à ce propos sous le lien suivant : Le problème des géniteurs.