Corbeau, renard et réciproque dépendance

Une personne qui m’est extrêmement proche m’a récemment fait part de l’avis définitif de quelqu’un qu’elle fréquente professionnellement. Du haut de son savoir professoral, celui-ci lui affirmait d’une façon péremptoire que, contrairement à ce qu’elle suggérait, la célèbre formule à propos du flatteur qui vit au dépens de celui qui l’écoute était parfaitement et seulement univoque.

Qu’un célèbre fabuliste dont le succès scolaire ne se dément pas, qui n’a pour l’essentiel que repris ce qu’un autre avait énoncé avant lui, et dont j’ai déjà eu l’occasion de souligner la surestimation, n’ait pas à être un grand philosophe ou psychologue, je le concède au fond bien volontiers. C’est surtout le faquin qui prétend savoir à son propos ce qu’il n’a pas même pris la peine d’interroger, se contentant de jouer les singes savants (je sais, ce n’est pas très sympathique pour nos amis quadrumanes), dont les propos se révèlent ridiculement prétentieux quand il imagine clouer le bec de qui lui propose de questionner ce qui n’a jamais été pour lui qu’une évidence apprise.

On se trouve en réalité dans le cas de figure de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, où l’on sait que si le second se met en dépendance du premier pour ne pas avoir à affronter la question de la mort, le maître ne manque pas moins d’indépendance puisque l’esclave accomplit pour lui ce qu’il se révèle incapable de faire sans son aide. Dans le cas qui nous occupe, s’il est vrai que, comme cela ressort à l’évidence, le flatté se met en dépendance du flatteur lorsqu’il l’écoute, ce dernier qui doit compter sur le flatté pour obtenir ce qu’il ne peut atteindre par lui-même n’en est à l’évidence pas moins dépendant, ce que signifie précisément l’expression « vivre au(x) dépens ». C’est du reste lui, le flatteur, qui manifeste le premier sa dépendance par la flatterie qu’il a besoin de faire valoir pour obtenir son fromage, ce qui apparaît logique sans même avoir besoin de convoquer de grandes considérations psycho, philosopho ou encore philologiques.

L’on sait depuis Socrate au moins que ce sont ceux qui n’ont pas pris la peine de mener bien loin l’enquête qui ont souvent les avis les plus péremptoires, comme pour se protéger de leur ignorance.