Dans le jeu du mikado, on hésite un peu sur la baguette à saisir en premier, surtout lorsqu’elles sont toutes plus ou moins enchevêtrées. Par rapport à l’actualité, on ne sait par quel bout commencer tant il y aurait à dire sur les débordements du libéralisme politique, économique, philosophique au fond, qui s’en remet fondamentalement à la loi du plus fort, du gagnant, de celui qui impose cette loi aux autres, souvent de façon outrancière, et quels que soient les correctifs démocratiques que l’on brandit aussitôt pour faire croire que ce système ne serait pas fondamentalement vicié. Il suffit de songer à la cacophonie trumpienne de fin de règne et à ses débordements et violences dans la suite logique de son mandat pour voir bouger une bonne partie de ces baguettes en même temps. Peu désireux d’aller patiemment ici-même jusqu’au bout de la partie, je me saisirai en premier de celle qui se trouve, semble-t-il, un peu à l’écart.
C’est ainsi qu’une baguette à deux balles qui atteint la bonne vieille Europe en ce moment montre des dirigeants politiques qui ne trouvent rien de mieux que de se dire « dérangés » par le fait que les médias sociaux se décident à couper les appels à la vengeance et à la haine qui prolifèrent tout en haut d’un tel système. La censure est même invoquée. On croit rêver. Devant l’urgence, ceux qui n’ont de cesse de répéter que, en bons libéraux, le système doit fondamentalement se perpétuer sur la base de la liberté individuelle et de la responsabilité sociale des entreprises, avec le minimum d’entraves, sont ainsi dérangés quand ces mammouths technologiques, économiques et financiers (que par ailleurs ils favorisent tous les jours, mais en Europe si c’était possible) prennent précisément leurs responsabilités – de leur seul fait, quelle horreur ! La bouche en cœur et le nez pincé, ils nous disent qu’ils préfèreraient que cela soit décidé par voie réglementaire et de justice (à une échéance que l’on peine à imaginer, soit dit en passant). Voilà ce qu’ils ont de plus urgent à (d)énoncer.
À part pousser des cris d’orfraies devant la violence qui se manifeste sur la sciure du grand cirque états-unien (quand elle est moins voyante, dans les pays les plus pauvres et les plus exploités par lesdites entreprises, ils font déjà moins la fine bouche), on voit où se situent leurs priorités. Il apparaît pourtant simple de ne pas confondre appel à l’insurrection et à la violence avec la liberté d’expression. Mais peut-être qu’une mise au point à ce propos ne serait pas inutile.