Routine, recettes et innovation

De toute part on entend dire que l’innovation est non seulement désirable mais indispensable, que ce soit pour résoudre des problèmes divers et variés qui se présentent, ou seulement pour exalter l’âme et stimuler la pensée, en tant qu’humain ou en tant que civilisation. Ces problèmes à résoudre ou ce besoin de supplément d’âme peuvent apparaître comme résolument contemporains ou, et on ne le sait alors que trop, nous les traînons avec nous depuis la nuit des temps. En fait, on peut tout simplement avoir envie de quitter le marasme des routines qui plombent nos journées et trouver un peu de fraîcheur dans un air soudain plus léger et plus respirable. Quoiqu’il en soit, la recherche de nouveauté, par une créativité toujours bienvenue et même sollicitée, le désir de considérer le monde selon une approche inédite, l’appel à une imagination qui débouche sur une vision ou sur des solutions qui n’avaient pas encore été envisagées (étaient peut-être seulement restées inaperçues), on répète à l’envi que cela est souhaitable ou même que l’on en manque cruellement. Ça, c’est pour le discours.

Dans la pratique, c’est bien différent. Celui qui se présente effectivement avec une idée nouvelle pour combattre un ancien fléau, ou celui qui propose véritablement une solution inédite pour rendre l’air plus respirable, on lui fait aussitôt et tout d’abord remarquer que cela ne s’est jamais fait, que ça ne correspond pas aux recettes éprouvées, pour ensuite en conclure qu’il n’y a aucune raison que cela se fasse aujourd’hui; ou alors pas comme ça, en tout cas pas ici, ou avec nous. S’il est suffisamment patient, peut-être que demain, ailleurs, sait-on jamais… Quand on sait que l’accueil de la véritable innovation se passe la plupart du temps ainsi, c’est déjà moins pénible.

Il serait pourtant fâcheux de s’en accommoder ou de le supporter véritablement, car les tenants de la routine et des recettes ont sur ceux de l’innovation le redoutable handicap d’avoir contre eux le vent de l’histoire, et d’abord bien évidemment celui de leur propre histoire. Et – il n’est pas moins utile de le savoir – c’est en pure perte que l’on tente en général de lutter contre une telle force d’inertie venue du fond des âges et de son propre passé. Il vaut donc mieux aller de l’avant avec ceux dont l’enthousiasme, la curiosité et le désir de changer restent intacts, puisque l’avenir est le seul qu’on puisse changer.