Entendue ce matin dans une émission radiophonique, une idée qui apparemment court jusque chez des personnes sérieuses consiste à proposer une pondération du vote démocratique en fonction de l’âge. Il s’agirait de donner davantage de poids au vote des plus jeunes, selon le simple calcul qui confère aux conséquences de cet acte civique une portée à plus long terme pour eux.
En l’absence de vote obligatoire (et de ses fâcheux inconvénients), la question du simple fait de voter ou non a été soulevée également : avant de donner un poids particulier au vote, encore convient-il que celui-ci ait lieu en effet, et les plus âgés semblent plus enclins à s’exprimer par ce moyen que les plus jeunes, ce qui conduit à vouloir tout d’abord encourager ces derniers à le faire en plus grand nombre et plus régulièrement. Sans discuter ici de la sagesse ou de la justice telles qu’elles ressortent du labyrinthe démocratique et de ses multiples jeux d’influences dus au poids du pouvoir économique et social, on peut tout d’abord retenir qu’un tel encouragement à s’exprimer par le vote, tout simplement, apparaît comme une évidence dans ce contexte.
Mais qu’en est-il, alors, de l’idée de pondération du vote lorsqu’il a lieu, ici en fonction de l’âge ? Je dirais qu’elle relève de la fausse bonne idée si seulement il y avait un instant où l’on puisse la trouver bonne, ce qui n’est pas mon cas. En tant que personne maintenant âgée, je précise aussitôt qu’une pondération inverse qui favoriserait l’expérience de la vie et la sagesse qu’on peut y associer – comme on l’aurait au contraire proposée dans certaines sociétés ou chez certains peuples – ne trouverait pas davantage grâce à mes yeux. C’est l’idée même qui sous-tend cette volonté de briser le principe « une personne un vote » qui apparaît scandaleuse, pour une raison au moins.
En réalité, cette idée cherche à corriger un présupposé qui n’est pas discuté, apparemment pas même envisagé. Avec cette conception, le vote, en effet, n’est et ne peut être qu’égoïste, ne cherchant à défendre que ses propres intérêts, qu’il s’agisse du reste d’intérêts générationnels, ou de fortune, de sexe ou de tout ce que l’on peut imaginer en ce monde où la division semble régner en maîtresse tyrannique et absolue. Il va ainsi de soi que les vieux ne peuvent voter dans l’intérêt des jeunes, les parents dans celui des enfants, les conjoints en pensant à l’autre, les aisés aux déshérités, et ainsi de suite. Les gens ne votent que dans leur propre intérêt, à l’exclusion de tout autre, un point c’est tout ! Cela a le mérite de montrer où l’on en est, du moins selon certains. Je précise en disant cela que je ne donne pas le moindre crédit au vernis compassionnel affiché par certains courants politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite. Je parle de la véritable générosité, intime et personnelle, acquise par une conviction forgée loin des faux-semblants et des stratégies relationnelles ou électorales, et que certains croient pouvoir exclure d’emblée sans même imaginer qu’elle puisse exister dans le secret de l’isoloir, de l’enveloppe cachetée ou du code électronique.
Ceci dit, dans le monde tel qu’il est ou qu’il apparaît, et en restant à cette appréciation des jeunes et des vieux, on voit bien que le jeunisme qui prévaut depuis l’après seconde guerre mondiale – il y avait alors de bonnes raisons pour cela (*) – semble s’accentuer en proportion inverse de l’intérêt qu’on accorde véritablement aux jeunes générations actuelles et à celles qui vont leur succéder. Ce désintérêt réel, bien masqué, se traduit en ne s’investissant pas soi-même pour rendre ce monde plus conscient et plus vivable pour soi et pour eux mais, dans le meilleurs des cas, en se reposant plutôt sur ses lauriers défraîchis (source, sans doute, de la culpabilité qui transparaît avec ce genre de proposition gadget). Un tel activisme personnel ou collectif serait pourtant plus intelligent que de donner dans la démagogie, celle consistant à vouloir conférer un poids différent au vote de ceux qui nous succèdent, ou en cherchant à les rendre électeurs et éligibles de plus en plus tôt, dans le même temps où on les surprotège le plus longtemps possible, les rendant responsables de plus en plus tard, et donc en leur faisant en réalité de moins en moins confiance (même si l’indépendance se conquiert et ne se donne pas, avis aux jeunes en question). Mais l’on sait aussi que ce monde n’en est pas à une contradiction près.
(*) Donner en particulier un bon coup de balai à ceux qui n’avaient été capables que de fabriquer deux guerres mondiales – ce qui faisait tout de même beaucoup en moins d’un demi-siècle, ce dont une génération qui était née durant ou autour de la deuxième s’est joyeusement chargé.