Parmi mes relectures de l’été se sont entrechoqués deux livres qui ont marqué les turbulences et les découvertes de mes années de jeune adulte : respectivement Mars, l’autobiographie de Fritz Zorn, datant de la fin des années septante du siècle dernier, soit au moment où je l’ai découvert, et Le livre du ça de Georg Groddeck, qui lui remonte à il y a maintenant un siècle, lu deux ou trois ans plus tard. Le premier m’avait fortement impressionné par le rôle central qu’il attribue à l’environnement familial et culturel, et le second par les clés de lecture de l’inconscient qu’il propose. Je précise que c’est l’attrait pour ces contenus qui m’a conduit à ces redécouvertes, sans lien conscient entre eux au départ.
Durant ces relectures, je me suis peu à peu rendu compte qu’un bout de mon cheminement personnel pouvait évidemment s’y lire aussi. J’étais ainsi passé de la stupeur devant la maladie et la mort qui caractérise normalement l’adolescence, que Zorn tente d’éradiquer avec l’énergie du désespoir, à l’acceptation résolue et éclairante de toutes les manifestations du corps comme traduction de l’inconscient, que Groddeck exemplifie à foison pour son interlocutrice imaginaire, jusque et y compris dans la maladie et la mort précisément.
Si Zorn – colère en français, mais de son vrai nom Angst, peur, qu’il cherche à exorciser avec son pseudonyme – sort avec une certaine grandeur du déni de son parcours et des morbides fantasmes d’infinitude et de « j’ai tout mon temps » de l’éternelle jeunesse, il demeure dans l’attachement et la dépendance originaire aux figures parentales qu’il ne peut dépasser, comme je l’étais encore largement à cette époque ; c’est précisément ce qui m’impressionnait. Quant à Groddeck, qui lui se masque sous le nom de plume de Troll, évoquant malicieusement les créatures malveillantes de la mythologie scandinave pour insinuer tout ce que cachent les étroites limites de la conscience ordinaire, je commençais alors à m’y intéresser sérieusement, dépassant la peur du détachement et de l’indépendance de ces figures primitives.
Ces réminiscences liées à un moment de ma trajectoire, dans le droit fil de la conquête de ma liberté intérieure, ont ainsi heureusement côtoyé les autres découvertes de mes lectures estivales, celles qui peuplent ma compréhension du monde. C’est cette dernière en effet qui me permet depuis longtemps d’inscrire mes intuitions les plus profondes dans tous les acquis des générations et des civilisations successives, que l’on délaisse en général à son propre détriment, ou tout au moins que nul n’est censé ignorer.