Vu que les statues n’ont en général pas de boulons, personne aujourd’hui ne déboulonne véritablement de statues. On se contente de les arracher, de les scier ou d’emporter leur socle avec elles s’il s’avère trop long ou compliqué de les en séparer. Ceux qui s’adonnent à cette pratique symbolique expriment leur désaccord avec les idées ou les agissements de certaines personnalités à qui, en son temps, l’on a témoigné à l’inverse une reconnaissance qui faisait semble-t-il consensus, ou qui tout au moins ne trouvait pas une opposition décisive à de telles érections.
Au sens figuré que l’on donne souvent à cette expression, déboulonner des statues revient à remettre résolument en cause ce qui semblait acquis avec un peu trop d’autorité ou de conformisme, et qu’il s’agit ainsi de ne pas prendre pour une vérité éternelle devant laquelle nous ferions une non moins éternelle révérence. Il s’agit, en somme, de questionner des certitudes ou l’aura de personnalités qui se seraient figées, tel le bronze de la statue en question, et malgré son oxydation qui devrait pourtant rappeler que tout passe et se transforme. Peut-être aussi le fait que le bronze des statues soit en réalité constitué principalement de cuivre et d’autres métaux traduit-il la face cachée des choses, et permet-il de considérer la composition toujours mélangée de la pâte humaine et de ses composantes. Bref, les situations sont toujours plus compliquées qu’on ne les voit ou qu’on ne les voudrait au premier abord, mais les tenants de la nouvelle censure (voir le billet de ce blog paru sous ce titre) semblent n’en avoir cure puisque la vérité du jour, la leur évidemment, est toujours la bonne et doit l’être ainsi pour tout un chacun sans même avoir besoin d’en discuter.
Les bonnes raisons de faire la révolution ne manquent par ailleurs certainement pas et paraissent même difficilement contestables, sauf à s’accommoder d’un monde en décomposition ou à croire encore et toujours qu’il suffit de le réformer à la marge pour que tout puisse continuer au fond comme avant. Le remède proposé en l’occurrence ne paraît cependant guère plus souhaitable que le mal quand, loin de s’en prendre aux profonds processus qui conduisent à ce dernier, on croit qu’il suffit pour rendre le premier efficace d’anesthésier le patient en lui faisant oublier tout ce qui a précédé ou, ce qui est plus efficace pour ne pas qu’il s’en aperçoive, de le reconstruire un peu différemment. C’est au fond tout le problème de ce que les psychologues nomment le passage à l’acte, qui dispense de comprendre en mettant à jour ce dont il est inconsciemment question, s’en remettant à une réaction épidermique qui bien entendu ne change pas vraiment le cours des choses.
Ceux qui se fâchent ou protestent peuvent le faire à bon droit, et les raisons qui fondent ces manifestations de profonds désaccords peuvent être louables et empreintes de volonté de justice. L’ennui, avec le révisionnisme historique qui prétend modifier le cours du passé, et dont l’effacement des symboles fait partie, c’est que non seulement il empêche de le comprendre et d’en tirer toutes les conséquences (cherchant à imposer au passage à autrui de faire de même), mais qu’il repousse au second plan le seul que nous puissions changer en toute connaissance de cause, c’est-à-dire l’avenir.
On peut même en conclure que comprendre l’histoire ou son histoire, ou alors réviser le passé au moyen du roman historique ou familial, représentent deux attitudes parfaitement antithétiques. L’une permet en effet le changement par le savoir, alors que l’autre maintient ou précipite dans l’ignorance et, de ce fait, constitue un obstacle au changement véritable.