Le temps est à l’injonction. Soyez respectueux ! Ne prenez pas de risque ! Vivez en altruistes ! Mangez ceci, ou pas cela ! Et celle-ci, que j’apprécie particulièrement : soyez créatifs ! C’est la contradiction même de l’injonction qui me plaît le plus dans cette façon de se faire croire que, au reste, l’on s’adresse le plus positivement du monde à qui on la balance ainsi.
Je l’ai entendu dire dans les milieux de la formation, par une instance responsable. Loin de fournir des pistes aux enseignants qui peinent à capter une classe entière par visioconférence, puisque c’est à qui n’est pas là (le plus souvent), qui a bien entendu sa caméra ou son micro qui ne fonctionne pas (comme par hasard), qui n’a pas lu les consignes parvenues bien avant « le direct » (il y a tant d’autres choses à faire), ou qui ne transmet pas le document demandé avec le minimum d’indications permettant de l’identifier (pas un millimètre de décentrement pour les nombrils du monde), l’autorité scolaire en question, qui ne remettra pas une seconde en cause les grands bénéfices convenus d’avance du télétravail et de ladite réalité virtuelle, se contente de leur lancer, vous l’avez compris : soyez créatifs !
Y’a qu’à, faut qu’on ou il suffit de conviendraient tout aussi bien, mais c’est tellement plus gratifiant de dire à ceux qui se coltinent la réalité des choses – la prétendre virtuelle, au passage, constitue un bel oxymore – qu’on leur délivre un décret de créativité qu’ils pourront afficher sur leur ordinateur, n’ayant plus qu’à la mettre en œuvre, en toute liberté cela va de soi. Chacun sait en effet qu’il ne peut y avoir de créativité sans liberté, surtout quand l’instance responsable en question n’a pas la moindre idée de ce que l’on pourrait bien faire dans de telles conditions, préférant du coup laisser toute cette grande masse de liberté à disposition de ceux qui se débrouilleront bien avec, mais avec créativité s’il vous plaît. Pour une fois et quand ça l’arrange, évidemment.
Il n’y a de même, et par ailleurs, qu’à respecter la nature et tous ses occupants pour vivre mieux, à éviter les danger pour ne pas prendre de risques (mais en sachant quand même que « le risque zéro n’existe pas ! », ce que ceux qui les font proliférer s’empressent d’exhiber), à aimer l’autre car ça rend tout le monde tellement plus heureux ainsi, et à ne manger que ce que ceux qui savent ce qui est bon pour l’homme nous dise qu’il faut manger et, surtout, ne pas manger ! C’est fou ce qu’on se complique une existence pourtant simple en oubliant si souvent de suivre les préceptes des bons apôtres qui eux, dans leur secteur, on en est bien certain, font tout juste et savent du coup ce qu’il est bon que les autres fassent ; en toute liberté bien entendu et surtout sans la moindre pression, car c’est mauvais pour la santé.
Comme j’ai déjà parlé plus précisément des donneurs de bons conseils, sinon de leçons, dans un autre article [ L’expérience des autres ], je n’ai pas besoin d’y revenir maintenant. Ça me dispense de me mettre vraiment en colère contre les fats prétentieux (c’est bien un pléonasme) pour qui la vie est évidente – « il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions ! » –, alors qu’elle est si compliquée pour nous autres, pauvres mortels que nous sommes.