Ce qui nous préoccupe durant notre existence, à différents moments de celle-ci, peut évidemment varier en fonction des circonstances ou de l’actualité. Qui aurait pensé au début de cette année que notre souci pour la planète, sans même parler de la crise des réfugiés, des guerres qui en sont notamment la cause ou du bruit de fond des famines auquel nous sommes si bien habitués seraient relégués derrière la vague pandémique du nouveau virus qui menace notre intégrité physique, et par là nos modes de vie ?
Et si nous essayions, un instant, de nous extraire de l’information heure par heure, de la communication avec nos proches et avec nos « amis » plus lointains quasiment minute par minute, ainsi que des pensées continuelles qui nous mobilisent actuellement à ce propos ? Je sais bien que ce n’est pas facile, avec les outils de communication que nous avons constamment sous les doigts et sous nos yeux, mais je vous propose de le tenter quand même.
En prenant un peu de recul, il n’est pas trop étonnant de constater que cette mise en avant-plan concerne une anxiété à propos de la maladie et de la mort qui nous concerne tous, ici et maintenant, directement. Nous avons en effet tous été ou nous serons tous malades un jour, et chacun et chacune de nous va en principe mourir, même si certains paraissent s’accrocher à un fantasme permanent d’immortalité qui semble les en dispenser. C’est ainsi, de façon ultime mais néanmoins très directe et présente, notre peur de mourir qui nous fige dans la crainte du virus. Rien de plus normal me direz-vous, puisque l’on admet généralement que c’est cette peur qui nous incite à nous protéger et, en la circonstance, à protéger autrui du danger qui tue. On peut toutefois constater que l’urgence climatique, qui devient soudain plus relative, ou les guerres qui massacrent sur les différents fronts de la planète, sans parler des famines auxquelles on s’est d’autant mieux habitué que nos magasins d’alimentation restent pour le moment à peu près pleins, nous concernent toutes aussi bien ou peuvent nous concerner tout aussi directement, mais seulement à une échéance que nous espérons plus lointaine.
Cette soi-disant salutaire réaction de peur, on le voit, est à géométrie variable, habituellement pointée sur le danger le plus immédiat, dont on se dit du coup qu’il est le plus important, allant comme cela, notre existence durant, de danger immédiat en danger immédiat. N’est-ce pas là ce qui explique que nous soyons si peu pressés d’agir sur ceux qui ne sont pas moins mortels, parfois inexorablement et à une échelle généralisée, qu’il s’agisse des impasses climatiques ou militaires, mais dont l’importance est jugée moindre parce que l’échéance en est un peu différée ? Et est-ce bien raisonnable ?
On répond en général à cela que nous sommes ainsi faits, que « c’est humain », ce qui est la façon la plus commode mais sans doute la moins perspicace ou pertinente de nous dédouaner. Et de replonger aussitôt fébrilement sur nos écrans, dont on dit par ailleurs qu’ils sont une chance en ce moment, ce qui est certainement vrai, mais dont on voit également à quel point ils nous consument dans l’irréflexion et le manque de recul, favorisant l’anxiété, ce qui n’est pas moins vérifiable. Et si nous essayions de prolonger, encore un instant, la réflexion à ce propos ? Une fois nos mains soigneusement lavées, nos éternuements contrôlés (vous l’avez remarqué, plus personne n’éternue !), nos distances gardées, nos sorties soumises aux drones qui nous disent désormais de rentrer chez nous, ce que nous faisons tous, ou presque, bien consciencieusement, n’est-il pas temps, n’est-il pas toujours temps de nous demander si la peur est vraiment cette bonne conseillère pour temps de crise ?
Vous l’avez certainement observé comme moi, les crises succèdent toujours aux crises, que ce soit face aux virus, à l’étouffement de la planète et de ses occupants, ou aux guerres meurtrières toujours inoculées par les hommes. Sans compter les crises du développement personnel, du couple, avec ses proches, dont les enjeux ne sont certainement pas moindre en période de confinement, comme nous allons bientôt le constater si celle du coronavirus dure un peu en les amplifiant.
Pour qui estime que cela en vaut la peine, à chacun et chacune d’y réfléchir et, pour ma part, une telle réflexion sur les soi-disant bons conseils de la peur prendra place et temps ultérieurement. Moi aussi, tout comme vous, j’apprécie de la différer en trouvant toujours pour ça une bonne raison ; ou d’attendre que quelqu’un y pense pour moi ; ou simplement qu’elle me tombe du ciel. J’ai toujours eu et j’ai toujours tant d’autres choses à faire…