De la psychose, du désespoir, et de leur viralité

Voilà bien deux mots qui, aussitôt qu’ils sont dits, attirent l’attention et la détournent plus vite encore. On peut bien vivre avec, mais on ne supporte guère de les nommer. Plus précisément : on ne peut vivre dans ce qu’ils représentent que quand nous les passons sous silence. C’est une bonne raison pour essayer d’en parler. Cherchant à illustrer ce qu’il en est de chacun de ces termes, voire leur possible relation, afin de mieux comprendre le théâtre des opérations dans lequel nous sommes, peut-être constituent-ils après tout de bons outils. Tentons pour ce faire de décortiquer tout d’abord la psychose ambiante.

On pourrait parler climat, réfugiés, misères ou guerres. Prenons la situation qui occupe nos esprits en ce moment : la propagation mondiale d’un nouveau virus. Et voyons ce qu’il en est en nous fondant sur ce que nous connaissons de la psychose individuelle. Par celle-ci, on se coupe littéralement du monde extérieur et des autres qui constituent la source de toute menace, réelle et imaginaire, révélant une incapacité d’empathie et d’identification à leur sort, tous sentiments gelés, et avec qui la violence est à son comble puisque le fait de les ignorer à la fois ne diminue en rien leur menace et permet de « taper dans le tas » (quand je parle de violence, il peut aussi bien s’agir de coups physiques que de tortures psychologiques ou de mutismes obstinés, et elle est destinée aussi bien à autrui que retournée contre soi).

L’extension à la psychose collective, dont l’usage du terme est fréquemment abusif, permet de lire des caractéristiques similaires, mais trouve la source de sa peur dans des menaces qui n’imprègnent pas nos existences d’aussi près au premier abord, se contentant de la contagion virale d’un collectivisme anxieux par lequel on s’identifie aux autres. Nos pensées sont alors systématiquement dirigées vers la menace proférée, qui prend peu à peu une place et une importance qui peuvent être considérables et conditionner de larges pans de nos existences. Le moins que l’on puisse dire du nouveau virus est qu’il occupe depuis un bon mois un tel créneau, sans commune mesure avec sa dangerosité réelle au regard de beaucoup d’autres risques auxquels nous sommes hélas depuis longtemps accoutumés. Cela se traduit aussi par le besoin de s’isoler plus ou moins, voire de restreindre sérieusement les contacts, avec une empathie en berne pour les régions du monde qui en sont à l’origine (cela s’entend dans certaines conversations sur « les chinois »), conservant volontiers les malades dans leur confinement aussi longtemps que nous le jugerons nécessaire.

Le désespoir, de son côté, rend impossible ce qui était jugé possible avec l’espoir ; pas effectif, mais seulement possible. Quand l’horizon s’assombrit à ce point, nul besoin d’être grand clerc en psychologie des profondeurs ou en philosophie existentielle pour voir qu’aucune issue n’est envisagée, sinon celle qui, à plus ou moins long terme, conduirait inéluctablement au néant. Dans un monde où tout espoir d’un avenir meilleur est très sérieusement entamé, quand seulement il peut se frayer un passage, il apparaît évident qu’une source de psychose supplémentaire peut facilement faire basculer dans la plus noire déraison. C’est un peu l’impression qui prévaut de nos jours avec certains leaders qui baignent dans le négationnisme et le déni des menaces, les rendant d’autant plus redoutables et omniprésentes, qui plus est amplifiées par la viralité des moyens de communiquer à toute vitesse – et donc sans réfléchir – les flèches empoisonnées de la psychose et du désespoir.

Pour tenter de s’en extraire, il s’agit de commencer par regarder la véracité des problèmes en face, puis en démasquer l’origine, premiers pas pour se mettre en position de les surmonter. À cette fin, l’on ne peut se soustraire à l’investissement en temps et énergie nécessaires pour le faire, y penser véritablement, que ce soit dans nos vies personnelles et relationnelles ou dans les courants de la société qui les agrègent à grande échelle. Plus facile à dire qu’à faire dira volontiers celui qui ensuite, en général, se garde bien d’essayer.