Écrire ou ne pas écrire

Reprenant la célèbre question métaphysique d’Hamlet, le dilemme ici posé trouve pour moi son origine dans l’illustration suivante : que regarde-t-on quand on jette une pierre dans l’eau ? La trajectoire de la pierre en cherchant à la suivre jusqu’au fond ou les vaguelettes qu’elle laisse à la surface au moment d’y pénétrer ? Autrement dit, et partant de l’idée que l’écriture traduit une pensée, s’en tient-on à la lettre, au mot, à la phrase et à leur cheminement dans un texte qui décrit l’impact et ses péripéties en surface seulement, où s’intéresse-t-on à la substance qui s’en dégage et qui pèse de tout son poids pour aller voir jusqu’au fond du lac ou de la rivière ?

Si écrire revient à montrer les reflets du soleil ou de la lune sur les petites vagues concentriques qui peuvent nous hypnotiser un instant là où la pierre est passée, à trouver ça « poétique », pathétique ou divertissant, ou alors laissant comme on dit avec l’air (faussement) inspiré et (vraiment) négligeant la partie immergée à la discrétion du seul lecteur, je n’en vois pas l’intérêt et m’en passe volontiers. Si cette action d’écriture, comme de parole, signifie suivre la pierre jusqu’au point où elle aboutit pour ouvrir à la discussion métaphysique et existentielle qui en ressort à propos de la vie et de la mort, c’est-à-dire non seulement de la destination mais de la destinée de cette pierre, voilà qui dépasse le jeu pour commencer un travail de fond, le seul qui pour moi vaille vraiment.

C’est ainsi que j’hésite parfois à écrire, en particulier ici, pas persuadé que mes contemporains partagent apparemment cette façon de voir si j’en juge aux retours. Je ne demande évidemment qu’à être démenti mais, sans être habituellement pessimiste, je ne suis pas non plus un optimiste béat. Peut-être aussi, après tout, que des articles plus au ras des flots n’auraient pas davantage de succès, mais je ne cherche certainement pas à tester cette éventualité, qui pour moi ne fait pas sens.

Après un an et demi bientôt et une septantaine de billets et articles publiés, il me semble légitime en tout cas de soulever cette question, en étant d’ores et déjà reconnaissant à ceux qui ont pris la peine de réagir.