Regarder de près, voir loin

À première vue, ou au premier regard, on peut facilement mettre en opposition deux façons de considérer un évènement, un sentiment, une routine ou tout autre phénomène de son existence. On peut en effet chercher à l’examiner de près pour en trouver les tenants et les aboutissants dans le quotidien immédiat de sa manifestation ou de son impact sur ce que l’on est en train vivre, ou vouloir aussitôt le placer dans une perspective plus large par rapport à son insertion dans le cours de ce que l’on vit sur une certaine durée ou dans des circonstances variées.

Les amateurs ou les professionnels des sciences de l’esprit, qui en général apprécient les catégories bien délimitées, classeront la première tendance – parfois les individus eux-mêmes ! – comme analytique, la seconde comme synthétique ou holistique, cherchant parfois même à les opposer (j’avais il y longtemps effectué un test psychométrique pour rendre service à un collègue assistant qui basait les résultats de ses recherches sur ces contraires, y définissant des types de personnalité). Une telle opposition, quand on y réfléchit, se justifie-t-elle vraiment ?

Avec une réflexion dialectique, qui est souvent un bon moyen d’éviter de seulement voir les choses en termes d’opposition et de favoriser de préférence une intelligence de leur complémentarité et de ce qui peut en résulter, on admettra plutôt que chacune de ces approches favorise l’autre. Vu que l’on cherche rarement à résoudre des situations non problématiques, envisageons un instant dans cette perspective le regard ou la vision que l’on peut porter sur une simple difficulté.

En se concentrant précisément sur une pensée que l’on aurait tendance à éviter d’habitude, une pensée pénible, une contrariété par exemple, relative au tort que quelqu’un cherche à nous faire ou nous a déjà fait, ou toute autre situation conflictuelle, regarder de près ce qu’on en éprouve et comment on y réagit permet de mieux situer dans la durée et dans diverses situations analogues ce qui est une tendance que l’on peut changer ou améliorer dans le cours de son existence ou avec autrui. Dans l’autre sens, observer les résultats de divers conflits et leurs conséquences sur l’histoire ou l’avenir de son existence ou de l’humanité peut être l’occasion de détailler et d’approfondir de façon circonstanciée tel ou tel conflit qui vient de se produire et dont l’importance dans son vécu présent et sa façon d’y réagir a peut-être été sous-estimée.

On peut noter au passage que les pôles soi et autrui, passé et avenir, sont présents dans ces deux mouvements. Sans oublier toutefois que l’on ne peut changer que son avenir à soi et certainement pas celui d’autrui qui ne le voudrait lui-même. Quant au passé, source de tant de précieuses informations, il ne peut aider qu’à changer le présent et l’avenir.

Et pour ceux qui sont plutôt réticents de prime abord à regarder les difficultés en face, de près ou pour voir loin ? On aura remarqué en effet que j’ai mis de côté la réaction qui consiste à repousser, écarter, refouler, ou même à scotomiser (c’est tellement insupportable que c’est simplement inconcevable ou inimaginable, littéralement coupé de soi) de telles pensées ou sentiments. Là il devient plus difficile d’agir, sinon par un long et pénible travail sur cette réaction qui occupe souvent le plus clair du temps des psychothérapies pour ceux qui admettent au moins leurs difficultés, leurs souffrances, et qui cherchent à en sortir ou à les dépasser.

Et puis bien sûr, mais il est facile de les oublier ou de les négliger tant on a rarement l’occasion ou le désir de les rencontrer, il y a ceux qui se complaisent dans la plainte, des autres et du sort qui s’acharne sur eux, et qui tiennent trop à ce « bénéfice » pour avoir envie de changer vraiment ; et également ceux dont l’existence ne serait à les entendre véritablement ni difficile, ni problématique, mais l’on a à vrai dire pas besoin d’en tenir compte puisqu’ils peuvent se gratifier eux-mêmes d’une telle grâce ou d’une telle félicité.