Ce que les chercheurs nous apprennent

La recherche scientifique moderne a été morcelée à l’extrême pour les besoins d’un affinement des connaissances qui nous fait miroiter des découvertes prodigieuses à perte de vue. Lorsqu’on veut se saisir de résultats qui changent concrètement nos existences, on se tourne par exemple vers les chercheurs en médecine ou en biologie pour allonger notre espérance de vie et sa qualité, vers les politologues et les sociologues pour comprendre les subtiles mécanismes de l’organisation de la vie en société qui pourraient faciliter notre quotidien et les relations entre groupes plus ou moins formels, du côté des historiens ou des économistes pour tirer leçons des tournants manqués qui ont conduit les décideurs à entrer en guerre militaire ou commerciale, ou alors en récession économique, et encore vers les philosophes pour poser toutes les grandes questions qui nous préoccupent, ou même les théologiens, sans oublier les psychologues, pour nous rappeler quelles réponses à nos angoisses métaphysiques et existentielles ont été données par les grands courants dans ces domaines et comment on peut en guérir ou s’en protéger (en notant que les uns ont passablement supplanté les autres aujourd’hui). Ce sont peut-être les astrophysiciens et les chercheurs en physique quantique qui investiguent avec la plus grande autorité notre destinée humaine et physique sur le long terme, parfois avec un regard qui frôle la métaphysique, en tout cas en tenant compte du rôle de l’observateur, modélisant les conditions de nos origines et des confins prévisibles ou hypothétiques ainsi que du fonctionnement de l’univers et du monde subatomique avec ses nombreuses applications dans le cadre d’une expansion qui, du big bang (terme qui fait un peu bande dessinée), semble irrémédiablement nous conduire au faussement débonnaire big crunch. Ceux-ci laissent certes ouverte, mais explicitement, la question que les chercheurs des autres disciplines n’auraient pas même eu l’idée de soulever, celle de notre place dans ces micro- et macrocosmes. Ce sont au moins ceux qui s’en approchent de plus près aujourd’hui.

Dans tous ces cas, on obtient des réponses provisoires et partielles tant il vrai qu’avec cette répartition des connaissances en domaines spécialisés, en fonction du découpage des techniques, qui plus est en les investiguant au moyen de la recherche empirique, on trouve normalement des résultats non seulement partiels mais sujets à perpétuelle remise en cause. En gros l’on est sûr de rien, et ce constat n’est peut-être pas étranger au désintérêt qui est celui de la plupart de nos contemporains pour au moins l’un ou l’autre de ces objets de recherche. On voudrait pourtant croire : qui cherche trouve ! Ou l’on décrète, comme ce chef de service à propos de recherche en sciences humaines : des chercheurs qui cherchent j’en trouve, mais des chercheurs qui trouvent j’en cherche ! En clair, on voudrait savoir, mais tout en restant à bon droit sceptique. Cela même si l’esprit de curiosité ou l’avidité de savoir sont certainement les choses du monde les mieux partagées par les diverses générations des confins du monde connu, ou tout au moins devraient l’être.

Ce qu’il importe de savoir à propos de toutes ces recherches, c’est que l’on ne trouve au bout du compte – parfois, rarement, il peut y avoir des surprises en cours de route – que ce que l’on cherche. C’est-à-dire que les objets de connaissance, leur définition, leur méthode d’investigation et l’utilisation de leurs résultats préexistent et même déterminent les résultats que l’on obtient. Le choix de civilisation technoscientifique et matérialiste qui est la nôtre, ainsi que les méthodes de recherche qui y ont cours, constituent bel et bien des choix, et sont donc mis à l’honneur parmi d’autres choix possibles comme l’ont montré d’autres civilisations et d’autres époques dans la longue histoire du discours humain sur ce que constitue la réalité. Dans la recherche où l’on n’investigue que du fini, on ne peut certes trouver de l’infini, et réciproquement. Si c’est l’immanent qui fait office de paradigme de recherche, on ne va pas trouver du transcendant et l’inverse est bien sûr également vrai. En clair là encore, dans un monde dont l’intérêt, l’origine et la fin sont actuellement définis comme physicochimiques, l’esprit sans substrat matériel ne peut être envisagé, et aucun chercheur, d’aucune discipline, ne pourrait du reste être financé pour produire des résultats dans un tel champs.

Que cela puisse avoir une quelconque chance de déboucher sur le retour en grâce prochain de l’honnête homme qui se préoccupe avant tout de ce qui peut être utile et bon pour l’homme afin de donner sens à son existence reste donc largement du domaine de l’utopie, même si c’est personnellement cela qui me paraîtrait, comme chercheur bénéficiaire autant que comme citoyen financeur, des plus utile et même excitant à comprendre, au-delà de toutes les subtiles machines à complication que sont les diverses disciplines de la science moderne et contemporaine (vous l’avez peut-être remarqué, la philosophie des sciences semble l’un des rares domaines de connaissance où l’on ne parle pas de ce fameux « post-modernisme » qui fait si chic dans les salons mais qui sonne surtout comme la fin des haricots*).

Utile et bon à comprendre ne serait-ce qu’en considération des politiques qui nous gouvernent et de là où ils nous emmènent, pour garder espoir avec un peu de répit au milieu des guerres, de la faim et de la misère qui prédominent aujourd’hui grâce à leurs bons soins, avec de surcroît pour horizon une destruction programmée à relativement brève échéance de notre environnement existentiel lui-même, ce que l’histoire n’aura dès lors plus le privilège de leur attribuer et de leur reconnaître.


* Quand on ne peut plus définir une chose pour elle-même mais seulement comme ce qui suit quelque chose, on voit mal ce qui pourrait lui succéder.