On reconnaît facilement la folie douce, ainsi qualifiée car elle fait plonger dans son monde intérieur en ignorant certes autrui et la réalité du monde extérieur, mais sans agresser personne. Cette dernière caractéristique, par laquelle on délaisse aussi délibérément la violence intrinsèque à toute existence, constitue du reste pour qui en est sujet une partie du problème plutôt que de la solution. Le tableau de cette forme de psychose se dessine concrètement, la plupart du temps, en forme d’abattement mélancolique prononcé et durable, mais peut aussi être traversé de diverses fantaisies plus ou moins oniriques. Toujours est-il que la folie douce est de façon compréhensible acceptée par l’entourage, qui ne s’y sent nullement remis en cause, pouvant de ce fait manifester son empathie pour celui qui en est affecté.
Il en va tout autrement avec la folie furieuse, qui ignore et même dénie tout aussi bien la réalité d’autrui et du monde au profit de son seul for intérieur, comme il en est de toute psychose, mais dont la caractérisation paranoïaque la rend rapidement odieuse à autrui par les manifestations les plus fréquentes d’une agressivité tous azimuts. Le fou furieux vit en effet aussi souvent que possible – parfois, rarement, il se repose comme tout le monde ! – dans le passage à l’acte intempestif et violent à l’égard des autres, manifestant généralement pour ce faire une énergie débordante. De la double signature typique de la paranoïa, (1) le monde entier m’en veut et s’acharne à ma perte, mais (2) c’est parce que je suis quelqu’un d’exceptionnel et d’incompris, c’est la combinaison bien dosée des deux qui confère cette énergie destructrice contre qui est haï de la sorte. Ce qui démontre au passage une identification pathologique à son endroit qui, pour tenter de se défaire de la dépendance qui en résulte, cause cette surcompensation mégalomaniaque et cette haine tenace dont les empreintes sont si remarquables (l’objet n’en est en pratique jamais le monde entier mais des individus ou groupes bien circonscrits au départ, projetés ensuite sur leurs successeurs ou sur des entités plus larges ou plus abstraites).
Le fou furieux fait donc feu ou flèche de tout bois pour se défendre dès lors qu’il se sent remis en cause par ceux qui lui font précisément remarquer que son comportement n’est pas socialement ou politiquement acceptable, ou franchement dangereux pour les autres ou même pour l’humanité s’il possède des moyens de destruction qu’il peut mettre en action à cette échelle redoutable. Quiconque s’imaginerait qu’une telle mise en accusation et que de tels procédés de défense paraissent particulièrement bien s’appliquer à la situation géopolitique actuelle d’un grand pays outre-Atlantique, de sa présidence et de son parlement, et qu’il convient effectivement d’agir sans plus tarder, ne devrait pas oublier que les stigmates de la folie furieuse trouvent en général leur origine assez loin dans la vie des individus concernés, et que l’on n’en connaît pas d’exemple de guérison véritable. À bon entendeur donc, car cela ne constitue nullement, au contraire, une excuse pour rester dans l’inaction !