À propos de désir sexuel masculin

Alors que l’imaginaire social médiatisé représente de nos jours la sexualité entre hommes et femmes comme évidente, facile d’accès et de réalisation, ce qui est bien sûr loin d’être le cas, une émission de télévision faisant la part belle aux témoignages a récemment fait ressortir une tendance à la baisse du désir et de la jouissance sexuels des jeunes adultes, les hommes en particulier, ce que des études semblent par ailleurs confirmer. En point de mire de ces dernières pour expliquer le phénomène, le porno et les écrans sont mis en avant-plan (il serait intéressant de savoir quoi d’autre est par ailleurs investigué, sachant que l’on trouve pour l’essentiel ce que l’on cherche), ce que le reportage illustre aussi à sa façon.

Les témoignages recueillis montrent que ce recours à la facilité de la masturbation devant des images de rapports sexuels explicites entretenus par des tiers tient en particulier à une vision facile à convoquer et à répudier à sa guise. La relation avec l’autre ne permet évidemment pas cette facilité puisqu’on doit alors entrer dans la complexité de cette relation pour parcourir, progressivement, le territoire des fantaisies et des désirs sexuels qui peuvent ainsi, dans les cas favorables, être partagés. C’est évidemment plus compliqué que le plaisir solitaire puisque n’est alors plus exclusivement en scène le binôme voyeurisme et exhibitionnisme médiatisé. Les autres composantes de la sexualité et la gamme des émotions véhiculées par la recherche du plaisir et du désir quittent ainsi la coulisse, et l’on ne peut les ignorer qu’au prix de malentendus qui peuvent rapidement se révéler rédhibitoires.

Bien que cette émission soit loin des caricatures qu’on nous présente le plus souvent quand il est question de sexualité, j’ai à vrai dire surtout été une fois de plus frappé par la rapidité avec laquelle le sexe explicite que présente la pornographie est, dans les discours de l’espace public tout au moins, relégué dans l’enfer de l’imaginaire sexuel. Parler ou faire état de ses émotions oui, de sexe plus crûment, attention ! Comme si les caresses manuelles réciproques, les fellations et cunnilingus, les enchâssements génitaux, les jouissances érectiles et éjaculatoires, vaginales et clitoridiennes qui défilent à l’écran ne formaient pas ce que recouvrent, en réalité et pour tout un chacun, les vocables génériques de jouissance, fantasme ou désir. Faire la chose, on sait bien que cela se pratique, mais la dire ou la montrer explicitement doit être aussitôt accompagné d’une sourde réprobation, voire d’un anathème censé être dissuasif. Et pour ce qui est de consommer le plaisir dans une posture de satisfaction narcissique, par la masturbation, on aurait dit il y a peu de générations encore qu’il valait mieux aller s’en confesser aussitôt, mais on se contente de nos jours de sous-entendre que c’est plutôt malsain et que ça ne devrait pas être, pas durablement tout au moins. On brandit alors une norme imaginaire là où l’on agitait autrefois un crucifix, mais le résultat rabaissant ne semble guère être différent.

Et si c’était ce dénigrement du sexe explicite dans l’espace public qui participait du malaise dont il est question, confirmant une fois encore le tabou de ce qui est pratiqué avec plus ou moins de succès dans le secret de l’alcôve mais que l’on ne doit pas regarder, surtout quand il est pratiqué et filmé par des exhibitionnistes qui semblent y prendre plaisir (sans quoi ils n’en jouiraient pas) ? Peut-être est-ce simplement cela dont il ne doit surtout pas être question et que rappellent ces images : des pénis et des vulves gonflés de sang et donc de plaisir, quelle horreur! La question est plutôt de savoir en quoi cela serait contraire ou contradictoire avec le fait qu’il est évidemment souhaitable de ne pas en rester là, puisque les représentations des désirs et fantasmes de l’autre pour soi et de soi pour l’autre peuvent aussi se vivre dans la « réalité » de l’échange physique, ajoutant à la vue l’ouïe, le toucher, l’odeur et le goût de cet autre. Et si l’autre s’y refuse ou s’y montre rabaissant, on peut simplement se rappeler que rien n’est obligatoire dans ce domaine, pas même de rester dans une relation frustrante ou empreinte de dépendance plutôt que de désir, ce qui est en particulier vrai lors des expériences juvéniles.

J’ai pour ma part souvent constaté que faire gentiment état de sa frustration permettait de lever son impuissance ou son insatisfaction, qui peut aussi être réciproque. Cela vaut toujours mieux que de se culpabiliser, surtout si l’on y est encouragé ! Je le dis volontiers en particulier aux jeunes hommes dont il est question, car il est vrai que de nos jours ceux-ci et leurs caractères masculins sont fréquemment suspectés – avec procès d’intention à la clé  – d’être à priori porteurs d’abus potentiels, risque que l’on dégaine aussitôt et qui fait office d’épées de Damoclès sur leur sexualité.  La menace de castration, que les jeunes femmes ont l’heureux privilège de ne pas connaître, devrait pourtant nous laisser entrevoir qu’épée et érection font rarement bon ménage, tout au moins aussi étroitement associées. Et il apparaît que de telles suspicions et menaces sont assez fortement inscrites dans l’imaginaire sexuel contemporain, laissant planer leur ombre sur la masculinité en général.

Comme j’ai déjà eu l’occasion d’en faire état ailleurs, sous couvert des abus bien réels qui doivent être dénoncés et poursuivis mais que l’on présente comme s’ils étaient omniprésents et le fait de chacun, au moins potentiellement, TOUT le masculin est aujourd’hui à priori plutôt jugé dangereux et avec méfiance, et TOUT le féminin présenté comme forcément rempli de bienfaits. Dire aux jeunes hommes qu’il doivent non seulement s’en accommoder mais qu’il serait encore préférable qu’ils soient plus féminins, voire franchement féministes dans ce que cela implique – à côté de la juste recherche d’égalité – de renoncement à la différenciation, puis s’étonner d’une baisse de leur libido avec un imaginaire masculin aussi dévalorisé, voilà ce qui est à vrai dire le plus surprenant et qui semble le moins investigué.