Estimer, comme le fait le tribunal en s’appuyant sur l’expert-psychiatre, que le fait d’aider à mourir celui qui ne supporte plus son existence ou ne désire plus vivre pour une raison ou pour une autre est acceptable si ce dernier peut être capable de discernement et responsable de ses actes revient à associer désir d’en finir et pleine santé mentale, je l’évoquais dans un précédent billet. On considère dans ce cas que la décision est libre et non aliénée, et que celui qui s’y résout peut en prendre la responsabilité en toute connaissance de cause. Sans pouvoir bien entendu empêcher celui qui décide de mettre fin à ses jours de le faire, avec ou sans aide extérieure, ni autoriser quiconque à juger un tel choix individuel, je me contenterai simplement ici de mettre en évidence deux questions qu’une telle situation soulève aussitôt : d’abord qu’est-ce qu’une pleine santé mentale, et ensuite de quelle cause et décision est-il réellement question ?
Afin de tenter une réponse à la première, on peut tout d’abord noter que la principale objection que l’on rencontre encore par rapport au suicide assisté consiste à discuter le risque qu’une personne désirant mourir puisse le faire dans un état dépressif, qu’une telle dépression soit plus ou moins permanente ou alternée avec d’autres épisodes, par exemple d’excitation, ou alors dans quelque état mélancolique plus ou moins profond, ou encore en association à d’autres troubles névrotiques ou psychotiques, la liste serait longue à établir. On souhaiterait donc, à contrario, que décider de mettre fin à ses jours puisse être le fait de quelqu’un qui ne présente pas de telles caractéristiques, et il s’agit seulement de s’en assurer avant d’admettre qu’un tel choix est délibéré, librement par définition (sinon il n’y a pas besoin de délibérations).
Le problème c’est que la psychiatrie, pour autant qu’elle y consente les laborieuses investigations nécessaires ce qui est loin d’être toujours le cas dans ces circonstances, ce que l’ont peut comprendre vue l’issue inévitable de ses bons soins, ne peut au fond jamais être en mesure de fournir une telle assurance. Ce pourrait être en effet le cas dans l’éventualité seulement où de telles affections seraient suffisamment connues pour qu’on puisse en guérir dans les situations graves qui ne conduisent pas nécessairement à une telle volonté suicidaire. Cela constituerait la preuve non suffisante mais nécessaire que l’on en sait suffisamment sur l’état de l’art. Quand je parle de guérison, il importe aussitôt de préciser qu’il est évidemment question de résoudre les causes de telles atteintes, et non de se contenter de réprimer ou supprimer leurs symptômes les plus apparents ou gênants comme on le fait de nos jours au moyen de dressage du comportement ou de traitements somatiques divers, médicamenteux, électriques ou chirurgicaux. Une telle guérison, plus ou moins durable, n’est simplement pas à l’ordre du jour de la psychiatrie actuelle, pas plus qu’elle ne l’a jamais été. Cette incapacité à faire le tour de l’état de ces questions, de surcroît toujours liées à une époque et à un contexte donnés, entame sérieusement le crédit que l’on peut accorder au diagnostic qui exempte de tels troubles quelqu’un désirant mettre fin à ses jours (et à ses nuits aussi par la même occasion).
Certains en tireront argument pour avancer qu’en l’absence de toute certitude dans ce domaine, il vaut mieux ne pas s’en occuper et considérer que choisir de mettre fin à ses jours ou y aider n’est simplement pas à discuter. Cela nous conduit à la seconde question pour laquelle on se contentera d’un rappel (cf. le billet mentionné plus haut) esquissant une réponse.
Cherchant à savoir quelle est la fameuse « connaissance de cause » ou quel est le libre arbitre dont il est question en la matière, j’ai relevé la violence symbolique faite à sa raison et à sa pensée que constitue tout passage à l’acte qui prend somatiquement la place d’une question non résolue ou même non posée. Comme déjà dit aussi, c’est ici le refus du choix face au sens de la mort comme passage, avec ses issues possibles, qui est escamoté ; escamotage qui rend par définition caduque toute idée de décision libre et éclairée. Que quelqu’un puisse ne plus supporter la souffrance et la douleur, on peut aisément le comprendre, mais c’est autre chose que de prétendre qu’il fait, dans ces conditions, un choix de la mort en toute connaissance de cause.
Il serait enfin intéressant d’aborder la motivation de celui qui aide au suicide, ce qui ne nécessiterait pas moins d’investigation. Celui qui se met dans une telle situation mentionne en général son souci d’aider son prochain, ce par quoi il se confère le pouvoir démiurgique de maîtrise de la vie et de la mort sur autrui, ou tout au moins son illusion. En guise d’aide ou de soin, on peut en tout cas dire que son caractère irréversible lui confère une prétention au savoir thérapeutique qu’aucun médecin ou psychiatre ne songerait raisonnablement à revendiquer. Quand une telle pratique n’est plus circonstancielle ou exceptionnelle mais se répète un grand nombre de fois, on peut s’interroger sur ce que cache une telle volonté de prise de pouvoir sur les destinées d’autrui. Au vu de ses conséquences, une telle question devrait à tout le moins susciter l’intérêt de la société autant, sinon davantage, que celle de la santé mentale du candidat au suicide.