Vous avez remarqué sans doute, depuis quelques temps déjà, la propension systématique, y compris dans la presse, à la radio ou à la télévision, à parler entre adultes de « mon papa » ou de « votre maman » plutôt que de son père ou de sa mère comme on le faisait précédemment. Si ça peut paraître anodin, il me semble que c’est révélateur. Cette façon de dire met en avant l’enfant en soi, celui qui s’exprimait ainsi quand il parlait de ses parents. On me dira que c’est très bien de laisser ainsi s’exprimer l’enfant qui sommeille plus ou moins en chacun, de ne pas réprimer cet être encore dépendant mais déjà une personne comme l’on sait depuis la bienveillante et perspicace Françoise Dolto. Il est après tout question de l’homme ou de la femme en devenir qui a en germe son inaliénable liberté et ses choix grands ouverts.
Reconnaître en soi ce que l’enfant a été, dont il demeure des traces, et croire qu’on le reste de façon assez décisive pour parler encore comme il le faisait implique toutefois une différence qui n’est pas négligeable. Comme je le remarquais dans un article récent en parlant de parole adulte, il y a les propos sans recul de l’enfance, instantanés, immédiats, normaux à cette époque de l’existence, et ceux de la maturité adulte, décentrés, réfléchis, élaborés, qui impliquent la reconnaissance de l’autre pour ce qu’il est ou ce qu’il est devenu, en l’occurrence son père ou sa mère, ni plus ni moins. On fait en principe alors la distinction entre parler à ses ou de ses parents.
Si garder l’appellation enfantine dans la sphère privée n’a rien d’étonnant, la promouvoir entre adultes dans les relations sociales comme une nouvelle norme fait aussitôt penser, comme je le disais aussi, au bavardage d’origine juvénile qui se répand à tout-va en particulier dans lesdits réseaux sociaux. Propos sans recul et immédiats, supposant l’inconditionnel narcissique plus ou moins « fusionnel », plutôt qu’argumentatifs et raisonnés reconnaissant l’autre dans ce qu’il a d’irréductible. Constatant ce changement somme toute assez récent, je reste pour ma part volontiers en dehors de ce trait civilisationnel régressif en espérant sans trop d’illusion avoir l’occasion de le voir passer. Peut-être, après tout, est-il simplement lié à la peur de l’avenir, ainsi qu’il en va de toute fixation et de toute régression.