J’aime beaucoup l’interprétation pleine de finesse philosophique que tire Pierre Péchin de la fable de La cigale et la fourmi : « Tu bouffes, tu bouffes pas, tu crèves quand même ! ». A mon sens, La Fontaine est du reste très surestimé par rapport à Esope le Phrygien dont il s’est largement inspiré et ses conclusions morales sont souvent stupidement conservatrices – comme l’illustre Péchin, mais seul un humoriste peut s’en prendre à un monument – quand elles ne sont pas simplement banales ou même inadéquates au propos (par exemple celle du Lièvre et les grenouilles). Ma conclusion personnelle sera ici diamétralement opposée, pleinement d’accord avec la jouisseuse de l’histoire.
Bien loin de la fournaise d’août dernier, lorsque je publiai ici même un petit article où il était précisément question de jouir pleinement de ce qui nous est donné à vivre ou à contempler pour mieux nous ouvrir à ce qui suit (Quelques heures sous les étoiles), j’ai trouvé dans la douce nuit hivernale du passage de l’an l’occasion d’une joyeuse mise en pratique. Dansant longuement avec ma belle sur une musique techno au milieu de contemporains jeunes et moins jeunes qui pour beaucoup semblaient ne pas vraiment ou du tout se laisser aller, j’ai pensé que j’avais souvent observé une telle situation autour de moi. Comme si l’on croyait, sans s’en rendre compte évidemment, garder de la vie en réserve en ne se dépensant pas trop (on dit parfois populairement que les gens paraissent « coincés », sans préciser dans quoi). Je suis pourtant loin d’être surentraîné à cet exercice !
Si l’on n’a pas fait vœux de silence ou d’immobilité ou si l’on n’a pas encore atteint la sagesse de laisser son corps en repos pour une vie pleinement spirituelle, devenu contemplatif, j’ai peine à trouver une autre explication à une telle retenue. Surtout par rapport au mouvement simple et festif qui consiste à vibrer au rythme d’une musique favorisant la transe plutôt que l’intellect, lâchant la bride ordinaire. Malgré mon âge avancé peut-être ne suis-je simplement pas encore assez vieux ou sage pour comprendre l’intérêt de cette restriction ou les beautés de la jouissance purement cérébrale ; sans doute aussi pour considérer le bénéfice du doute en matière d’explication.
Je ne demande pourtant qu’à changer.