Tu parles Charles ! Ou de quelques pierres d’achoppement

À propos d’expressions utilisées de façon fautive ou inappropriée de nos jours, comme pour le point d’achoppement que l’on entend régulièrement. La liste sera complétée au fur et à mesure…

  • La pierre d’achoppement représente un obstacle sur le chemin, une pierre, à laquelle une ou plusieurs personnes peuvent se heurter. D’où l’expression, déjà figurée en elle-même, sans qu’il soit besoin de l’abstraire et la rendre ainsi moins parlante. A-t-on déjà vu quelqu’un se heurter à un point ?!
  • Entendu récemment à propos d’un certain dirigeant politique actuel, bien plus à l’est que celui auquel on pense aussitôt : « le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne mange pas ses mots ! », au lieu de « qu’il ne mâche pas ses mots » selon l’expression consacrée. Manger ses mots c’est prononcer indistinctement, et non dire les choses crûment comme il en était question.
  • Celle-ci est assez répandue, mais amusante lorsque entendue directement de la bouche d’un chef d’état, qui plus est du plus grand pays francophone et au sommet de la francophonie. Il parlait des « crimes perpétués » au lieu des crimes perpétrés, tant il est vrai qu’il faut que des crimes soient commis – perpétrés – avant d’être reproduits. Comme cette dernière utilisation n’est pas absolument impossible, l’auteur peut toujours dire qu’il voulait bien parler de la continuation !
  • Celle-là n’est par contre pas attendue, et témoigne d’une méprise entre deux expressions puisqu’il serait étonnant que « des citoyens soient déjà sur le garde-à-vous » plutôt que simplement sur leurs gardes, vigilants, et l’on serait tout aussi surpris, au vu du contexte, que la journaliste ait voulu dire qu’ils étaient, comme dans une cours de caserne, alignés au garde-à-vous. (On peut à ce propos se demander s’il existe encore des correcteurs dans les journaux et s’ils connaissent les expressions et locutions.)
  • Entendue d’un journaliste de radio, la formulation un peu pataude et d’origine non contrôlée « à tout malheur il y a un bonheur » n’est pas à proprement parler fautive, mais témoigne peut-être de l’ignorance de celle, classique – à quelque chose malheur est bon –, dont l’appréciation de l’élégance suppose il est vrai une tournure d’esprit également classique.
  • Contrairement à ce que l’on imagine, avoir voix au chapitre, pour avoir le droit d’exprimer une opinion ou être consulté, ne signifie pas avoir le droit de parler sur tel ou tel chapitre ou sujet mais, à l’origine, au fait d’avoir une voix aux délibérations d’un chapitre (soit d’une assemblée de moines ou de chanoines). « Avoir droit au chapitre », comme entendu d’une journaliste, témoigne en revanche d’une crasse ignorance et ne veut dès lors plus rien dire.
  • Selon une dépêche de l’AFP, « les autorités russes ont serré le tour de vis sur le réseau internet national », ce qui relève d’une habileté peu ordinaire – qui en l’occurrence ne nous surprendrait guère, mais c’est une autre question – si l’on songe qu’il faut déjà une solide poigne et un bon tournevis pour simplement « serrer la vis », ou éventuellement « donner un tour de vis ». Pourquoi faire simple…
  • Parlant d’un candidat premier ministre britannique qui chamboule le jeu ou qui arrive très mal à propos, une journaliste de télévision considère qu’il arrive « comme une boule dans un jeu de quille » plutôt que, selon l’expression consacrée, « comme un chien » dans ledit jeu, qui elle illustre bien l’incongruité de la chose (dans le cas de la boule, on ne voit pas où serait le problème puisqu’elle est précisément faite pour tenir ce rôle).
  • En suivant ce qu’en dit un journaliste sportif, « un concurrent qui n’a pas réussi à relier l’arrivée » semble suggérer qu’il aurait dû finir par être attaché ou assemblé à celle-ci, alors qu’il n’est simplement pas parvenu à l’atteindre ou à la rejoindre – à la rallier. (Comme cela est paru dans la presse écrite, on peut encore se demander si les mesures d’économie auraient déjà eu raison des relecteurs et correcteurs.)
  • En voilà une jolie qui ne mettra pas le feu aux poudres, pas davantage qu’elle ne rajoutera de l’huile sur le feu puisque son auteur n’est pas journaliste et n’a pas eu l’occasion de la méditer par écrit. Il s’agit en effet d’un joueur de basketball NBA auquel on demande sur le vif de témoigner à propos des violences policières à l’encontre des Noirs et des protestations plus ou moins violentes qui s’ensuivent, avec pour point d’orgue la réaction de l’ineffable Trump, à propos de laquelle il précise que « cela rajoute bien entendu encore de la poudre sur le feu ». Peut-être du reste a-t-il voulu accentuer l’effet car la réaction chimique dans un tel cas serait certainement plus dévastatrice encore qu’avec de l’huile.
  • Cette fois je dois bien me résoudre à admettre que les correcteurs ont été sacrifiés sur l’autel des restrictions budgétaires dans les médias traditionnels (ce qui me permet d’exclure leur incurie), médias en principe animés par des journalistes professionnels. Quand une légende de photo sur le site web de la radio télévision suisse indique qu’un joueur de tennis « a dû puiser dans ses derniers retranchements » (sic) pour vaincre, on voit que la confusion – ici entre le fait de puiser dans ses dernières ressources et celui d’être poussé dans ses derniers retranchements – devient gentiment omniprésente.
    • Après on nous dira que c’est l’usage qui crée effectivement la langue plutôt que la pertinence ou la logique – ce qui est hélas vrai – pour s’étonner en même temps d’avoir perdu le sens quand ce sont des ignares qui colportent ces pratiques !
  • De la bouche légèrement mielleuse d’un commentateur sportif de télévision (pas celui auquel on pense aussitôt dans l’espace francophone car celle-là dégouline de sucre), cette expression-ci a été attrapée au vol, pour parler d’un résultat honorable : « Ce nageur qui réalise bonne figure » au lieu de, plus simplement et correctement, « qui fait bonne figure » (précision utile, il s’agissait de longueurs de bassin olympique et pas de plongeon ou de natation synchronisée). Il semble que lorsqu’on ne connaît pas vraiment une expression, ou que l’on ne s’en souvient que partiellement, ce diffus sentiment de ne pas savoir, tâtonnant et improvisant, porte à chercher plutôt dans le compliqué que dans le simple, ce qui d’un point de vue psychologique s’explique simplement.
  • Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Cette formule de Boileau (l’Art poétique) suggère qu’un discours obscur ou embarrassé est le fait d’une pensée pour le moins incertaine. Pas d’utilisation inadéquate remarquable ici, car la formule elle-même semble hélas passée de mode malgré le besoin pressant de pensées claires !