Il y a toujours un moment où l’on se dit être en automne, ou au printemps, ou dans chacune des saisons du reste, et donc que le passage est fait, qu’on y est. Et pourtant, ce passage n’est jamais net dans la tête des gens, à telle seconde, minute ou même parfois jour. On ne s’exclame pas : « il y a trois minutes c’était l’été, et maintenant c’est l’automne ! ». Je ne parle pas ici du temps officiel, astronomique, mais de celui dans lequel tous nous nous sentons en tant que sujets qui en parlons. Pourquoi ne vivons-nous pas ce passage ainsi ? Le ressentons-nous inconsciemment, sans nous en rendre compte, ou tout simplement n’existe-t-il pas pour nous de façon aussi précise ? Mais si l’on pense qu’il n’existe pas ainsi, comment expliquer que, à un moment m, nous n’y soyons pas encore et, au moment m + 1 (x durée plus tard, peu importe combien), nous y soyons bel et bien ! Curieux, non ?
Plus curieuse encore, cette projection que nous faisons, nous autres humains qui en parlons (de qui ou de quoi d’autre pourrait-il s’agir ?), des étapes de notre existence qui nous conduisent du printemps, la jeunesse, à l’hiver, la vieillesse, sur ce que nous observons autour de nous, à savoir les saisons astronomiques. Je dis projection car c’est bien cela, notre réalité d’êtres humains qui concevons et parlons de toutes choses, même lorsque nous croyons en être détachés et radicalement distincts, tels des sujets parlant d’objets ayant une vie propre séparée de toute perception, représentation et cogitation qui sont les nôtres. N’oublions pas qu’il s’agit d’une vision très récente dans l’histoire de l’humanité, celle du matérialisme scientifique, dans lequel nous sommes entrés à pas de loup depuis quelques siècles (un paille dans l’histoire de l’humanité) sans même nous en rendre compte, et que nous pensons souvent être une vérité de toute éternité ! Mieux encore, une vérité que nous aurions enfin découverte, dans notre sagesse, alors que les anciens, les pauvres, restaient dans l’ignorance la plus crasse de ce qu’est « la réalité ». Même la physique quantique n’en est plus là et n’ignore pas la présence de l’observateur et son influence sur la position ou la vitesse de la particule observée, la faisant quitter son flou quantique.
Dans l’apparente concurrence entre la réalité primordiale des saisons de notre existence, symbolisées par les saisons astronomiques qu’il nous est donné d’observer autour de nous, ou au contraire de la réalité primordiale de ces dernières, symbolisées par celles de notre existence, il va de soi que nous sommes amenés à faire notre choix, un choix proprement philosophique, celui qui, d’une façon ou d’une autre, nous arrange ; qui est bon pour nous aurait dit Socrate. Et qui, en tous les cas, nous engage.
Aujourd’hui, qu’il s’agisse de notre existence ou du monde autour de nous, il semble souvent relever du sens commun d’être soumis au diktat de la réalité physique observable, le reste étant illusion, alors que nous nous sommes simplement mis d’accord là-dessus dans le monde moderne, ce qui peut bien sûr être discuté. Dans ce sens, il est bon de se rappeler parfois que ladite réalité a longtemps été, et l’est encore dans différentes philosophies et dans les religions en général (bien que ces dernières ne soient pas exemptes d’ambivalences, voire de franches contradictions à ce propos), dans l’au-delà de la matière, dans le spirituel, hors de l’espace et du temps, le monde physique étant qualifié d’illusion.
On en revient toujours là, à la question du choix, et donc de la liberté qui est ou non la nôtre, celle que nous nous octroyons ou que nous nous refusons (mais c’est toujours nous qui le disons). La façon dont nous considérons le passage des saisons en fait évidemment partie.