Non violence ?

A propos de cette époque où l’on dénonce de divers côtés la montée de la violence, qui a par ailleurs de tous temps existé sans toujours être dénoncée.

Disons-le simplement : la non violence ne peut être qu’au-delà de la violence, elle n’est pas originaire. Ce n’est qu’en passant au travers des diverses formes de violence qu’on peut y accéder, sans quoi on retourne cette dernière contre soi, d’une façon ou d’une autre (elle ne disparaît pas dans la nature). Les racines en sont bien plus profondes qu’on se le représente en général, et éviter les conflits n’y change rien, bien au contraire.

Notre présence ici-bas, arrivée et départ compris, est empreinte d’une telle violence, généralement associée à des situations de crise lorsqu’elle est reconnue, comme les crises de la petite enfance, de l’adolescence, de la maturité, de la vieillesse. Aucune de ces étapes, et surtout la naissance et la perspective de la mort, ne vont de soi, pour personne, ni ne sont exemptes d’une forme de violence, à un degré ou à un autre, faite à soi ou à autrui ; en particulier quand nous croyons y échapper en évitant d’en prendre conscience, et donc en s’habituant à vivre avec.

Il n’est pas nécessaire pour autant de s’en faire un épouvantail ; il s’agit concrètement de travailler à cette prise de conscience, en se souvenant de l’origine du nom (bios) qui contient l’idée de force vitale dont l’expérience nous montre, l’existence durant, qu’il vaut mieux ne pas en manquer si nous souhaitons survivre à toutes ces situations. Car toujours et seulement s’étonner que l’existence et le monde soient faits de violence – y compris des petites tyrannies de la vie quotidienne – et vouloir du coup s’en débarrasser en décrétant la non violence ici et maintenant, parce qu’on le dit, est une lubie qui passe, normalement, avec ces expériences et la sagesse qui en résulte.

C’est s’accommoder de la violence, voire se vautrer dedans, souvent dans le déni, qui est problématique et qui la perpétue en favorisant le passage à l’acte ; pas s’y confronter véritablement et consciemment. Je sais bien qu’une telle confrontation n’est pas très populaire à priori. D’abord, on ne meurt pas d’une prise de conscience, ni même d’un conflit lorsqu’il est vraiment envisagé. Ensuite, pour savoir de quoi l’on parle, mieux vaut s’y employer en toute connaissance de cause (dans les conflits quotidiens les plus courants, d’abord, ou dans ceux plus archaïques de son existence, puis à diverses autres échelles ou avec des enjeux plus particuliers) ; ou alors, déjà, s’y essayer. J’y ai personnellement consacré un temps considérable par le passé, et pas en vain je peux en témoigner. Du reste je ne m’y soustrais pas lorsque de telles situations se présentent, ce qui arrive bien sûr encore plus souvent que je ne le voudrais. On peut aussi y mettre la manière, ne l’oublions pas, mais c’est une autre question, celle de la forme, dont on se saisit parfois comme d’un voile pudique pour esquiver le fond.


Nota bene : par rapport au monde professionnel et de l’emploi, j’ai publié tout récemment un petit pamphlet politique en guise de coup de gueule, Le manque à gagner, qui aborde précisément les situations de conflits et de la violence ordinaire dans ce cadre.