Mon cher cousin Philippe, qui est, ainsi que son propre frère, comme un frère pour moi, m’a narré récemment une jolie histoire éducative qu’il a vécue avec sa petite-fille. Une histoire qui m’a édifié et dont je témoigne ici, avec mes mots et avec sa bienveillance.
Gardant ses petites-filles, il racontait à l’aînée de 9 ans précisément une histoire, ou plutôt lui lisait un conte où il est question d’un père qui demande des preuves et épreuves à ses fils, pour une hypothétique récompense, jamais satisfait de leurs quêtes. En passant sur les détails, on notera seulement que l’un d’eux, en particulier, va pourtant de conquête en conquête, devant à chaque fois remplir de nouvelles obligations dans des conditions jamais satisfaisantes, où il est trompé ou volé, que ce soit avec les protagonistes qu’il rencontre ou avec ce père éternellement insatisfait et réprobateur. Finalement, il trouve lui-même la paix et une épouse selon son cœur avec qui il est heureux et, bien entendu, avec beaucoup d’enfants. Demandant à la fin de sa narration ce qu’en pensait la petite, elle lui fit un joyeux commentaire sur les bons sentiments qui concluaient l’histoire.
Stupéfait, il la regarda d’un air interloqué en lui demandant si elle avait bien compris le conte. Devant son air dubitatif, il le lui restitua dans un contexte familier pour elle, la questionnant sur les crasses que peut lui faire sa petite soeur, en soulignant avec conviction que le fait qu’elle les trouve injustes ou même révoltantes était un sentiment bien normal. Puis il résuma la situation, en revenant au conte, et en insistant bien sur chaque syllabe :
— Dans cette histoire, vois-tu, mais – c’est – la – gueeerre !
Aussitôt la petite, toute contente d’avoir compris, alla en faire état à ses proches, en proie à l’excitation de la découverte qui soulage.
J’ai, depuis, plus d’une fois repensé à cet épisode. Je sais gré à mon cousin d’avoir suscité en moi encore, mais de façon illustrée, sur le vif, à quel point cette guerre était de façon générale présente ici et maintenant. A quel point on peut ainsi à juste titre s’exclamer, dans les rapports quotidiens, privés ou professionnels, dans les crises de couple ou les désaccords entre proches, les tensions de voisinage où les insultes dans la rue, dans les luttes au couteau des politiques ou leur traitement des intérêts du plus grand nombre au profit de quelques-uns, sans compter les mesquineries largement rétribuées des dirigeants de tout poil et de tout acabit sur le dos de leurs subordonnés et de leurs clients (nous), enfin dans toutes situations sur lesquelles nous préférons en général passer comme chat sur braise, avec parfois de petites indignations vite oubliées :
— Mais c’est la gueeerre !
Cela a conféré à ma lecture de l’actualité – actualité intime ou politique, une saveur de réalisme à la prégnance renouvelée, ce qui démultiplie encore mon plaisir à toujours enquêter sur l’anthropos et le socius, comme je le fais depuis longtemps. J’y ai aussi pensé en manière de salut à mes douze dernières années de travaux de recherche sur les compétences sociales des jeunes : il apparaît que la petite a parfaitement su, dans un premier temps, se protéger de ce qui lui apparaissait comme menaçant, tout en enregistrant ensuite ce qui lui était dit pour le bon usage qu’elles saura certainement en faire, aiguisant son sens de la justice (et donc, aussi, sur les compétences sociales des adultes, son grand-père ayant su intelligemment insister sur la vérité du discours à tenir aux générations futures, en commençant par faire confiance aux enfants plutôt que de les considérer comme incapables ou parvenus, ce qui perdure parfois longtemps).
Réalisme pour lequel je milite à ma façon, ce dont témoigne une part de mes billets, articles ou histoires à la teinte toujours plus ou moins politique (au sens le plus large); de morale politique, plus précisément même, comme je fais avec mes dazibaos (voir cette page). Finalement, ça colle bien aussi avec la poursuite de mon travail actuel pour mener la guerre aux idées reçues, là où je cherche et attends le lecteur, travail qui commence par prendre la mesure de l’ampleur des dégâts dans nos existences et dans nos sociétés.
A la guerre comme à la guerre ! Il s’agit d’une façon ou d’une autre de mener le combat, le bon combat évidemment, celui qui libère. Pour ce faire, il est clairement contre-indiqué de se voiler la face.